Allez Mémé !

Gilles Baum et Amandine Piu

Éditions Amaterra

Croiser un album avec des vélos, chez moi ça ne crée pas d’étincelles (les vélos et moi on est fâché depuis longtemps). Tout de même, le duo Baum-Piu m’ayant déjà conquise avec Palmir, c’était le moment de dépasser tout a-priori.

Bim : gagné !

Aller chez Mémé, c’est pas l’éclate. Mémé a des principes de son temps, c’est-à-dire d’un autre temps pour sa petite fille : se déchausser avant d’entrer, manger de tout même si c’est pas bon, faire le ménage tous les jours. Le jour où un bon petit déjeuner vitaminé attend l’enfant, ça sent l’anguille sous le gazon. C’est le jour où il faut apprendre à faire du…vélo !

Sur le coup ça semble sympa, jusqu’à ce que Mémé retire les roulettes. Buche sur gamelle, l’apprentissage rime avec bosse sur le front. La rébellion monte et sort dans un hurlement :

L’émotion est là, écho d’un autre temps…pourtant Mémé ne cède pas. L’enfant remonte, et s’élance, et pédale, et y arrive, et entend sa grand-mère l’applaudir ! Il est l’heure de rentrer. L’enfant, reconnaissante, s’interroge : pourquoi le vélo ? Se pourrait-il que sa Mémé n’ait pas eu cette chance elle-même… ? Une chose est sûre, il n’est jamais trop tard pour apprendre !

On assiste au choc des générations. De prime abord la grand-mère apparaît revêche, intimidante, pas très avenante. L’enfant vit les moments avec sa grand-mère sous contrôle absolu : manger sans faire d’histoire, faire attention à ses affaires et attendre que ça passe.

Apprendre, des fois ça fait mal. L’activité vélo n’est pas un choix mais un devoir. Alors tant qu’il y a les roulettes ça va. L’histoire se corse et devient douloureuse après la disparition de ces dernières, démontées par : Mémé. La facilité ne sera pas de mise aujourd’hui. Avec rigueur, l’adulte impose. L’enfant essaye, tombe, tombe encore puis explose. Soudain, derrière la dame âgée on sent poindre l’enfant qu’elle a été. Qu’est-ce qu’elle projette cette grand-mère dans cette activité ? Pourquoi cette volonté de fer ? Avec son abîme de doutes, l’enfant remonte. La détermination de l’adulte se transmet subtilement à l’enfant : l’alchimie de l’équilibre et du regard au loin s’affirme à chaque coup de pédale. Applaudissements de la grand-mère : où est passée la femme autoritaire ?

Le dépassement de soi ne se fait pas toujours de manière fluide et harmonieuse. L’enfant fait l’expérience d’un apprentissage accéléré avec une pédagogie d’une autre époque. Pourtant, après la colère c’est la satisfaction qu’elle expérimente. Certes ça a fait mal mais le résultat est là avec des portes qu’il laisse entrevoir pour plus tard. La colère laisse place à la reconnaissance. Malgré sa rudesse, la grand-mère a fait un pas vers l’enfant. L’échange de bons procédés ne va pas tarder : l’enfant réfléchit et comprend ce qui a motivé la leçon de bicyclette. Puisque la grand-mère a fait un pas vers elle, l’enfant va faire de même. Avec un jus d’orange, des encouragements et des roulettes, l’enfant offre à sa grand-mère une perspective : celle qu’on peut apprendre à n’importe quel âge !

Quand faire du vélo devient liberté et égalité : vraisemblablement Mémé a eu une enfance marquée par une éducation où les activités étaient différentes selon qu’on est une fille ou un garçon. Discrimination de genre, jamais la grand-mère n’a pris le temps dans sa vie de corriger cette injustice. Néanmoins tapie dans l’ombre des souvenirs, la blessure est là. Elle qui n’a pas eu la possibilité d’apprendre à pédaler donnera, coûte que coûte cette chance à sa petite-fille. Le fond est beau, la forme plus rude. Passera, passera pas ? Pour la fillette qui n’a pas souffert de ce manque, l’instant présent n’est que douleur…physique. Cette douleur-là s’effacera. La grand-mère le sait. Car pédaler c’est toucher du doigt une forme de liberté : celle d’aller plus loin, celle de choisir ses chemins.

Dans cet album, Gilles Baum et Amandine Piu nous offrent le cheminement d’une rencontre et la révélation d’une affection : avec les mots, des suggestions par petites touches ; avec les illustrations, quelques confirmations et tout qui s’éclaire.

Se rencontrer, se connaître, c’est comme apprendre à faire du vélo : ça n’a rien d’évident. Au début on se cherche, on s’interprète à l’envers, on passe à côté, et puis il y a un petit truc qu’on repère, apprivoise, encourage. Les masques tombent, les ailes s’ouvrent, l’horizon n’attend que nous.

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