Éric Pessan
L’école des loisirs, collection Médium

Être un garçon, avoir treize ans et avoir une addiction au porno : le décor est planté. Jonas se prend la puberté en pleine poire et en plein froc. Sauf que… si les beaux gosses peuvent se permettre de fanfaronner, quelle posture adopter quand on est un freluquet acnéique ? Dans la tête de Jonas, c’est le chaos. Le porno régit ses jours, hante ses nuits, s’immisce dans les couloirs du collège. Difficile de se contrôler quand une fille passe à proximité.
Comment envisager le réel quand la fiction devient le chef d’orchestre ?… et la branlette, une drogue.
Et cette vidéo violente où la fille hurle…
A qui en parler ?
Jonas vit avec son père. Sa mère est partie alors qu’il était petit. Sur ce sujet, nous n’en saurons pas davantage. Le père est gentil mais taiseux. Reste à Jonas la synchronisation entre masturbation et vidéos, seule échappatoire pour tenter de calmer des ardeurs incontrôlables.
Qu’on ne s’y trompe pas : Eric Pessan écrit cash.
Cru.
Culs serré.es et béni oui-oui : passez votre chemin.

Si la pudeur étreint (encore) trop l’intimité des familles, les réponses arriveront peut-être aux ados via les mots. L’empreinte de la solitude est bien ce qui étouffe le dialogue. L’accès aux vidéos X à la sauce open bar et une stratégie de dissimulation ultra rodée nous cueille. Entre plaisir et écœurement, Jonas est écartelé.
Je lis.
Je souris.
…Car j’ai toujours rêvé de savoir ce qui se passait dans la tête de ces crétins lourdingues qui peuplaient mes classes de quatrième et troisième.
Puis de ces boules d’hormones en fusion qui hantaient les couloirs du lycée.
Leurs obsessions, leurs mains baladeuses, leurs rires gras : nausée permanente à l’époque. Comment ce gentil pote a-t-il pu muter en phacochère fier de son rut ?
Je souris et soudain, je rencarde ma colère, mon dégoût. Un soupçon d’empathie pointe le bout de pif. Les mecs, les meufs : le même bateau en réalité. Sauf qu’à force de silences et d’images choquantes, comment apprivoiser « sainement » les fondements de la sexualité.
Consentement ?
Respect ?
Dialogue ?
On fait quoi quand le corps semble doué de volonté propre ?
Quand les orgasmes solitaires rythment la journée ?
Quand les pensées auto-dévalorisantes tournicotent ?
Quand on est tenu de vivre « les uns avec les autres » mais que cet autre semble aussi incontournable qu’inatteignable ?
Paradoxe.
Un pas en avant… deux en arrière… une main dedans… un souffle qui se perd.

Se toucher : comment ?
Avec qui : une plus âgée ? Une prostituée ?
Suis-je hétéro – homo – bi ?
Et les autres, ils pensent-ressentent quoi ?

Jonas en est là. Dans la ville, un chevreuil s’échappe. Le fait divers sera sa planche de salut. Le trait d’union avec Lilou. Lilou qui n’est pas Manon-Noun-Jade…. Pas la plus excitante du lot mais qui, pourtant, est bien réelle. Elle.
Sans entourloupette littéraire bien ficelée, je vous dirai tout simplement, dans un soupir (de soulagement) : oh put… que cette lecture fait du bien ! On ne clamera jamais assez que fille/gars, même combat. A l’heure où je crois naïvement qu’on progresse sur ces sujets, des étendards s’élèvent pour museler, censurer, bâillonner les ambassadeurs de l’éducation à l’intime. Pour une fois, je vais moi aussi user d’un ton cash : lisez-le!
Si si ! Y a pas d’âge pour se dépoussiérer les représentations et faire une mise à jour. Pour les jeunes d’hier et pour celleux d’aujourd’hui, pour les adultes de demain il faut craquer les tabous. Puisque la clé est dans la communication, pour mieux vivre, dormir, danser, se cajoler, se comprendre… on n’a plus rien à perdre !
Au contraire, me dit-on dans l’oreillette.
Alors lisez (et écoutez Starmania !).
Éric Pessan : merci…
Un avis sur « Le cœur, le corps et tout le reste »