Jean-Marie Robillard et Marie Desbons
Le buveur d’encre

Sastrawane Mandia est poète. Les longues années de vie lui ont aussi enseigné la sagesse.


Chaque premier jour de la saison des pluies son maître le Grand Rajah Cokorda Soukawati attend une histoire, une histoire inédite née de l’esprit du sage pour le souverain. Le premier jour de la saison des pluies c’est aujourd’hui. Ce matin, Sastrawane Mandia offre un présent insolite au lieu de l’histoire habituelle : un carnet relié de pages blanches. Sentant la colère monter au nez de son maître, le vieux poète entreprend de lui raconter l’histoire de ce carnet, dont les pages sont en réalité les feuilles de l’arbre né d’une pierre bleue de lune.


Jean-Marie Robillard nous offre un conte onirico-philosophique dont la sagesse trouve son écho dans le plaisir que nous avons à découvrir, comme le Rajah, des histoires. Sauf que nous lecteur expert ou débutant, quand nous ouvrons un livre nous sommes quasiment certain d’y découvrir quelque-chose. Ce dû que Cokorda Soukawati attend impatiemment est nourri par le plaisir qu’il éprouve à écouter des histoires. On prend facilement ce genre d’habitude. Et en cela on peut aisément le comprendre, n’est-ce pas…les accros aux histoires qui lisent cet article !

Le plaisir de l’écoute justifie-t-il une exigence permanente ?
Sastrawane Mandia ressent le poids des années où il a respiré l’air de cette terre. Il sent que l’âge est là et la nuit définitive se rapproche : que pourrait-il laisser d’autre à son maître qui aime tant les histoires que la clé pour en découvrir toujours de nouvelles ?
Les émotions sont une question de points de vue. Le Rajah commence par s’encolérer devant l’audace du poète. Quand Sastrawane Mandia lui raconte l’histoire de ce carnet, il s’apaise, nouvellement conscient de la magie qui peut habiter des pages blanches. Après tout, ces feuilles sont nées de l’arbre d’une nuit. De ses racines nées de la perle de l’oiseau de nuit, il puise la force de s’élancer vers le ciel et d’accueillir en ses feuilles des sensations, des parfums, des ressentis, des souvenirs, des saveurs. Trait d’union entre le concret et le divin, il raconte Jangkrit le criquet et la brise fraîche du matin, ou comment une déesse à fait venir à elle un cerf-volant papillon dont elle était amoureuse…



L’imagination ne rime pas limite mais avec infini. Cette histoire me rappelle les 1001 nuits avec Shéhérazade et son sultan de mari qui vivait le jour dans l’attente permanente de son histoire du soir. L’histoire dans l’histoire est présente céans mais le conteur remplace la belle sultane. Le constat est le même : quand on goûte au plaisir des histoires, on devient accro. (Les mots seraient-ils une drogue ?). Le Rajah Cokorda Soukawati est comme le roi Shahryar : sensible au pouvoir des histoires, charmé par les mots et leur pouvoir imaginatif.

Quel cadeau plus magique peut-on faire que de donner à voir à chacun son potentiel créatif ? Sastrawane Mandia l’offre au Rajah, Jean-Marie Robillard l’offre au lecteur. La portée des mots est sublimée par les illustrations somptueuses de Marie Desbons. De page en page, tout est foisonnant, chaleureux, dépaysant à souhait, comme une main tendue vers la porte des rêves. Précieux et magique de bout en bout, cet album permet une immersion dans un incroyable et extraordinaire voyage.


Nous pouvons tous être Sastrawane Mandia : pour cela il nous faut un beau carnet, du temps et un cœur, des yeux, une oreille attentive aux merveilles du monde. Chut, vous entendez le vent qui porte à notre oreille un message de la part des histoires : « nous sommes là… ».

Magnifique, merci.
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