Monika Vaicenaviciené
Éditions Cambourakis

De loin il ne payait pas de mine cet album. Je l’ai déniché en bas d’un présentoir au salon du livre de Troyes en Octobre dernier. J’ai été attiré par la couverture (fascination avec l’effet broderie qui ondule sur l’eau), puis je l’ai photographié (pour plus tard), et finalement je n’avais pas fait trois mètres que je faisais demi-tour pour le mettre dans ma besace. Vraisemblablement les libraires et bibliothécaires Sorcières ne s’y sont pas trompées non plus car il figure dans leur sélection « catégorie CARRÉMENT SORCIÈRES NON FICTION ». D’ailleurs comment vous expliquer cet ouvrage ?

Un album qui parle des fleuves, soit : qu’a-t-il de plus que d’autres livres qui traiteraient du même thème ? A mon sens c’est bien plus qu’un simple documentaire. On est ici dans un album documentaire géographico-écologico-historico-spirituel qui fait la part belle aux illustrations. Page après page, Monika Vaicenaviciené nous montre que réduire le fleuve à la simple définition de « cours d’eau qui se jette dans la mer » serait par trop réductrice. Non, un fleuve c’est d’abord un fil, puis un voyage, une maison. Plus qu’un lieu de vie, il est à l’origine de bien des vies tant d’un point de vue biologique que symbolique.

Ce livre commence par un dialogue entre une grand-mère et sa petite fille. L’enfant demande à la vieille dame « Grand-Mère qu’est-ce qu’un fleuve ? ». L’enfant questionne son aïeule qui commence sa réponse inspirée par : « un fleuve c’est un fil »…

Symbolique : ce terme est transverse pour absolument toutes les pages. Il n’y a pas un seul aspect qui soit traité exclusivement sous un angle cartésien. Les évènements symboliques, comme le baptême ou la purification (vous voyez à quels fleuves le clin d’œil est fait ?) sont présents. Car un fleuve ça peut-être un lieu social, spirituel, d’initiation, de conquête…Si des étapes de vie s’y sont produites, le fleuve devient un écrin à souvenirs.


N’avez-vous jamais trouvé quelques fossiles sur les berges d’une rivière très éloignée de la mer ?
Peut-être avez-vous contemplé dans un musée des collections d’amphores naufragées (ils aimaient le bon vin les romains, heureusement que toutes les galères ne faisaient pas nauffrage !) ?
Quels secrets les fleuves abritent-ils encore…?

L’eau a toujours attiré les hommes. Le fleuve est devenu un lieu de réunion, de construction, de commerce, de réflexion. Comme on ne peut vivre sans eau, on s’en est rapproché : les berges du fleuve sont devenues résidences. Des fois le fleuve est source d’énergie : des barrages érigés fournissent la fée électricité.
Le fleuve est propice aux histoires, contes et autres légendes. Parce qu’il est tantôt effrayant, tantôt bienveillant, il nourrit l’imaginaire. Il aura le dernier mot tragique de la mésaventure ou procurera l’apaisement au héros tourmenté. Ah moins qu’il n’accueille dans les ombres de ses méandres quelque créature fantastique ?

Les sens y trouveront aussi leur compte : ouvrez vos écoutilles olfactives et dites-moi : « que sentez-vous » ? Quelles odeurs accompagnent les abords du fleuve ? Sont-elles les mêmes à chaque saison ? Après la pluie ? Quand il y a du vent ?
Miroir de l’activité humaine, un fleuve respecté reflètera les bons soins dont il est l’objet. A l’inverse celui qui écope de déversements polluants renverra un reflet huileux, poisseux, visqueux, fangeux. Que nous redonnera-t-il si nous ne le respectons pas ? Qu’est-ce que l’homme sera en mesure de recevoir s’il ne prend pas soin de ce professeur ? Car il se fait enseignant, à ses heures. Lieu d’études, de recherches, il a tant à apprendre.

Minute philosophie ! Héraclite est connu pour cette citation « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (ok vous avez quatre heures !). Dans ma vie de tous les jours c’est une phrase qui m’accompagne comme un mantra. Le fleuve (et ses cousins les cours d’eau) est le lit du mouvement perpétuel. On prend conscience auprès de lui que tel le tic-tac du temps, rien ne reste en l’état, tout bouge et coule en permanence. Parfois les pensées sont sereines, parfois elles sont tortueuses, ou boueuses ou très claires. L’esprit de l’homme est semblable à la rivière…

En reliant au fil de l’eau toutes ces images, on parvient à entrevoir une partie de la mosaïque incroyable que sont ces témoins liquides de l’histoire du monde. Vous l’aurez compris, ce livre a été, est et restera un très gros coup de cœur, qui se justifie par la diversité des réponses à la question qui fait le titre. Tout en synthétisant certains éléments très concréto-scientifiques, il est délicieux de patauger, plonger, s’immerger dans le fleuve témoin d’hier et de demain.



A partager à partir de six ans sans limite d’âge.


waouh, encore une pépite. Merci
J’aimeJ’aime