Ilié Prépéleac

Nora Lecta et Aglaé Rochette

Le Cosmographe éditions

Prenez un peu de Lewis Carroll, un peu de Miazaki, un peu de Star Wars : vous le saupoudrez de surréalisme et de « claudepontisme » : mélangez le tout et voici Ilié Prépéleac !

Livre hybride en deux parties, il vous emmènera où l’on n’aurait jamais pensé aller.

1. La dissolution de Sofia Onéga

Pour vous la faire courte et efficace, on pourrait résumer cette histoire comme ceci : Ilié Prépéleac, seul homme de Panoï, a noué une amitié indéfectible avec la très belle Sofia Onéga.

Or un jour, elle disparaît. Comme ça, sans laisser de traces.  L’enquête menée conclue à sa dissolution mais cela ne convainc pas Ilié Prépéleac. Et si la planète Halmer 1113 récemment arrivée à Panoï y était pour quelque-chose ? Un jour au loin il aperçoit le foulard de Sofia qui flotte au loin. Il part à sa recherche. La neige brouille le paysage, les tortues migrent et le gouffre est proche, la chute arrive : Ilié Prépéleac tombe….

2. Au-delà des champs de tourne-lunes

Ilié chute jusqu’en Siméria, un monde où les frontières des éléments sont abolies. Il y rencontre baba Sorica, la fileuse d’écume. Elle semble le connaître. Elle va le mettre sur le chemin pour retrouver Sofia Onéga, mais elle le met en garde contre les choses qui ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent être. Ilié Prépéleac devra dépasser les illusions et ne jamais se détourner de son chemin. Pour cela il aura l’aide et la compagnie d’un hippocampe et d’une méduse phosphorescente à piles rechargeables (qui ronfle bruyamment). Les histoires de ceux qu’il croise rythment son voyage et lui révèlent l’Histoire de Siméria. Noute la truie bleue sera sa dernière guide jusqu’à arriver à Maïastra, la poissonne-lune devenue oiseau. En aidant Maïastra à protéger à protéger ses poissillons, cette dernière lui transmettra de quoi retourner à Panoï…

Le texte est surprenant de ligne en ligne : impossible d’y trouver de la prévisibilité : il faut accepter de sauter dans l’inconnu et d’être en découverte permanente. Personnellement il m’a fallu plusieurs lectures pour pouvoir profiter du foisonnement de cet ouvrage. On début on découvre, ensuite on profite.

Un Objet Livresque Non Identifié je vous dis…

Que dire des illustrations. Vous avez vu ces couvertures ? La fascination s’enclenche dès la couverture avec ces « poissons-lunes » impressionnistes. La texture même du livre fait que je vous mets au défi de résister à l’envie de la caresser !

Même mon chat n’y résiste pas !

Ce qui m’a scotchée en premier lieu c’est l’abolition des repères. c’est comme un manège : au démarrage on ne comprend pas très bien, ça secoue, puis on apprécie, et le plaisir va crescendo.

Point de patriarcat mais un univers de femme. Attention il n’y a rien de comparable avec les Amazones : les hommes ne sont pas bannis. Ils sont juste absents. Les femmes réapparaissent par les cheveux. C’est un nouveau concept du phénix : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Il y a la jeunesse et la vieillesse : l’intermédiaire n’a pas cours et le cycle est préservé.

Qui dit « pas d’homme » dit pas d’amour selon nos codes. En revanche l’amitié et l’attachement sont palpables. Ilié est viscéralement attaché à Sofia et il est ami avec Nora Lecta, la narratrice (mais ça ne serait pas l’auteure ??). Une amitié homme-femme exempte de domination, mais qui pousse à tout quitter pour retrouver l’autre.

Côté nourriture, là encore on va de surprise en surprise. Les tourne-lunes donnent un sirop sucré, à moins que vous ne préfériez gouter des « patates d’eau douce », du « lait chaud de vache de mer » ou du « fromage de chèvre stellaire ». Tout de même, les courgettes et la soupe d’ortie semblent être ce qu’elles sont. La nourriture vient de la terre, du ciel et de la mer. Ces trois niveaux apportent leur contribution voire se mélangent de manière surprenante. C’est ainsi qu’on découvrira une étrange planète, qui a des pattes et qui abrite des œufs. Vivante, Ilié suit sa croissance et sera troublé par les émotions qu’elle manifeste en pleurant. Astronomie et astrologie cheminent ensemble, la science servant de terreau aux prédictions des voyantes (ce qui est une science exacte à Panoï). La spiritualité et la magie sont à côté des usines et des champs de fleurs. Concret, abstrait, nébuleux : What Else ?

 Dans cette histoire, on n’est pas à un bouleversement près :

  • la gravitation n’a plus cours de manière stable.
  • les éléments océaniques font partie intégrante du paysage et de l’atmosphère.
  • l’olfactif occupe de manière surprenante une place prépondérante dans cet album : j’espère que vous n’avez rien contre les effluves de crevette ou d’oignon doux
  • les oiseaux volent au-dessous, les poissons-lunes volent au-dessus
  • des baleines séculaires accueillent l’hibernation des habitantes de Moïseï

La personnification des plantes et des animaux transgresse les limites entre créatures vivantes. Aide et respect s’échangent en bienveillance la plupart du temps. Dans la deuxième partie de l’histoire, on découvre la carrière de l’hippocampe comme saxophoniste ou l’amitié qui unissait Noute et baba Sorica. Devant la tentative d’exploitation des enfants de Noute, Ilié aura la solution…

L’ambiance slave nous enveloppe tant grâce aux sonorités des noms que par les illustrations atmosphérico-oniriques d’Aglaé Rochette. Jaunes et bleus se contrastent, se fondent se nuancent, tantôt chauds, tantôt glaçants, zoom sur le ciel qui reste ciel ou qui devient océan.

Si le décor et les noms chantent l’Europe de l’Est, j’ai eu la surprise d’y rencontrer les influences mauresques : un caravansérail et une époque avec des « princes du Levant ». Plus de frontières mais des ponts géographiques. Ces détails architecturaux témoignent du passé de Siméria et le village de Baragan. Clin d’œil aux mythologies ou à Perrault (?) un étrange fléau sévit : la dormition. L’arrivée d’Ilié Prépéleac et du sirop de tourne-lunes permettra d’y mettre un terme. Ilié serait-il un peu chevalier ou héros grec ?

Lewis Carroll est partout : il y a la chute, le passage. Il y a le songe, l’histoire qui flirte avec le sommeil : tout cela est-il réel ? Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Au-dessous, en dessous, peu importe. Ilié se demande si un gâteau pourrait faire rapetisser Noute en vue de l’accueillir chez lui. Cela vous rappelle quelqu’un ? Bon pas de lapin blanc, mais une truie bleue et un «poisseau », des plantes qui chantent, des vents musiciens…

D’un point de vue littéraire, je trouve ce texte invraisemblable, phénoménalement décoiffant, régulièrement ponctué par des idiomes ou proverbes revisités, on s’amuse des détournements proposés par Nora Lecta. Les champs lexicaux sont maîtrisés au point de me faire complexer sur l’image que je me fais de ma maîtrise du français. Par exemple : la frégate réunit ses deux occurrences devenant un « bat-oiseau ». Respect. Entre les néologismes et le dépoussiérage de termes peu usités, il vous faudra accepter quelques froncements de sourcils de « heu, je ne connais pas ce mot » (défi entre moi et moi : réussir à caser « lacustre » ou « utriculaire » dans une discussion – Erik Orsenna serait ravi) (petite clin d’oeil de Clara à à La Grammaire est une chanson douce).

Science et mystère, astrologie et botanique, olfaction et pression atmosphérique, la vie comme un sablier que l’on retourne, ce qui s’écoule du haut vers le bas s’inversera. Coup de Chapeau au Cosmographe pour cet OLNI étrangement magnétique. Le résultat de ce métissage franco-roumain aux reflets d’Atlantide de l’autre côté du miroir est juste sidérant.

BRILLANT !

(je vais le relire…encore…et encore).

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