Nathalie Somers
Romans Didier Jeunesse

Dis-moi qui tu es ?
Comment se définir ?
« Bonjour je m’appelle Bidule, j’ai tel âge, je suis dans tel bahut…, et comme activité j’aime faire ceci ou cela.. ». Ok, processus logique d’inscription dans la société. Qu’est-ce qui se passe quand tout cela vole en éclat avec une amnésie ?
Romain a 15 ans et se réveille amnésique à l’hôpital. Et quelle amnésie : il ne se souvient plus de rien. Nada ? Reset dans le cerveau. Ses parents : zappés. Sa vie d’avant : effacée. Sauf que dans la vie ça ne marche pas le « on efface tout et on recommence ». Il faut reprendre sa vie.
Avec le journal que lui a donné le médecin, Romain va consigner jour après jour ses ressentis et interrogations quant à sa vie d’avant, laquelle semble aussi fugace qu’une bulle de savon. Qui sont ces gens qui se prétendent ses parents ? Arnaud et Béatrice n’ont pas la bienveillance spontanée et Romain affiche devant eux un aplomb auquel ils n’ont manifestement pas été habitués. Cet aplomb surprend aussi au lycée. Romain découvre qu’avant, il était un looser, un sans-potes doublé de résultats scolaires en chute libre. Il découvre des petits morceaux du puzzles et les assemble tout en s’interrogeant sur le grand-écart entre sa personnalité présente et celle que les indices du passé lui dévoilent.

Amnésique. Après une chute dans un couloir du lycée : malaise ou malveillance ? Le corps étant intact, Romain est « rendu » à ses parents. Pas de passé, curieux présent. Le voilà dans une vie qu’il ne reconnaît pas (vous imaginez l’angoisse ?) et où les mœurs alimentaires très « engagées » ne le transcendent pas. Attention, la caricature alimentaire est si bien menée qu’elle pourrait vous dégouter du tofu soyeux et du pilpil ! Béatrice (sa mère) semble légèrement plus compréhensive, tout en affichant des principes syntaxiques très rigides. En fait c’est ce qui définirait le mieux cette femme : beaucoup de principes. En outre Béatrice semble dotée de quelques capacités diplomatiques qu’elle utilise surtout pour temporiser Arnaud, son mari. Lui ne croit pas à l’amnésie, ou du moins il a tellement hâte que son fils recouvre la mémoire (mais pourquoi ?) que ça le rend vite détestable. (Qu’est-ce qu’il cache ce père.. ?).

Au lycée Romain (re)débarque dans un milieu où chaque prise de parole de sa part surprend systématiquement son entourage. Trouble frontal ? Est-ce que les chocs à la tête peuvent faire sauter les inhibitions sociales ? Pas complètement, mais tout de même, il semblerait que ça permette d’oser plus de choses. Attention tout de même à ne pas se laisser manipuler par Elias et sa bande douteuse…
Romain avance à tâtons dans son présent puisqu’il est privé de passé. Et là je comprends à quel point tout ce qu’on a vécu permet de nous définir ici et maintenant. Peu importe où on en est aujourd’hui : c’est le résultat du cheminement, des rencontres, des erreurs, des choix de toute une vie. Je le trouve drôlement fort Romain, d’avancer à vue dans l’adolescence avec si peu de stabilité tant au lycée que chez lui. Mais au fond, est-ce que c’était si différent avant ? (ah la la j’ai posé une grande question là)

La seule personne un peu stable dans toute cette histoire c’est Adeline, la grosse qui aime chanter et qui est un tantinet susceptible (elle n’aurait pas de bonnes raisons …?). Contre toute attente, c’est cette fille au profil anti-héros qui va être son pilier dans ce brouillard. Avec son franc parler d’abord, puis parce qu’elle le pousse dans ses retranchements : dans un casting de chant pour être précis. Quand on se dit qu’on n’a jamais chanté et qu’on se découvre capable de déchiffrer une partition, ça ébranle et ça fait une pièce de puzzle de plus dans un passé effiloché.


Harcèlement : le gros mot est lâché. Cette pratique détestable peut prendre bien des visages. La manipulation et le racket en sont des formes bien perverses et nous avons un bel exemple du genre grâce à Nathalie Somers. Il n’a pas de bol Romain. Avant son accident il était le jouet infortuné de la bande d’Elias, et ce n’est pas une amnésie qui va les inciter à plus d’empathie. L’autrice nous donne un petit aperçu des dégâts que les réseaux sociaux entraînent lorsque des photos ou vidéos malintentionnées circulent. Que dire de ce racket infâme dont il est victime ?

En même temps, combien serions-nous prêts à payer pour éviter la HONTE ?
Y a-t-il tsunami plus violent que la honte pour la confiance en soi et les relations avec ses pairs ?
En parallèle, Romain expérimente le « trop de pression » ou comment se faire broyer par les projections paternelles. Régulièrement dans les médias on entend le témoignage poignant d’un sportif ou d’un artiste qui décrit le calvaire vécu enfant parce que ses parents imposaient l’excellence dans la discipline de loisirs choisie. (Céline Raphaël et sa terrible enfance s’imposent à mon esprit présentement). L’enfant pris dans un nouage affectif et d’envie de faire plaisir, pour peu qu’il soit un peu doué dans un domaine, peut se perdre, se diluer au point de se perdre. Qui est-il pris dans l’étau des attentes familiales ? Arnaud nourrit des espérances si fortes pour son fils qu’il en a perdu l’essentiel : rester un père. L’amnésie est un tremplin qui, en permettant à Romain de dépasser le courbage d’échine, lui replace les billes de sa vie entre les mains. Evidemment ça fait des étincelles, voire ça chauffe fort. Devenir adulte passe aussi par s’affirmer. Nul doute que cela donnera à réfléchir à certains lecteurs…

Apprendre à dire NON à ses parents c’est une chose. Quand la machine qui s’emballe s’appelle « Facebook » c’est une autre paire de manches. Tout au long du livre les réseaux sociaux sont présents. On constate l’enjeu qu’ils génèrent à l’adolescence : popularité et respect. Ils peuvent aussi détruire méchamment une vie. Incontournables, quel usage en fait-on ? Quelles limites leurs donnent-on ? Les questions méritent d’être posées et débattues avec les adolescents.

J’ai fait en sorte de ne pas trop spoiler le contenu du roman pour que ça vous intrigue suffisamment pour avoir envie de le lire. Je vous avouerai que ce que j’aime quand je lis, c’est être surprise, interloquée, choquée, soulagée, révoltée…c’est pouvoir ressentir un max d’émotions. Dans ce journal, au cours du premier tiers j’ai fait comme Romain : froncement de sourcils et impatience « mais ça mène où tout ça ? ». Et ensuite, ensuite…comme un puzzle. Au début on ne distingue pas bien le paysage dans tout ses petits bouts de détails. Ça se dévoile de plus en plus précisément jusqu’à couper le souffle et accélérer considérablement la deuxième partie du livre !
L’amnésie est-elle une méga loose ? Comme souvent, c’est n’est pas tout noir ou tout blanc…
Quelques petites choses très importantes à retenir :
- Si tu es victime de harcèlement : DIS-LE !! (ça vaut pour les adultes aussi !)
- Qu’est-ce que je veux pour moi ? (moi hein, pas mes parents).
- Les réseaux sociaux c’est sympa Et ça peut aussi devenir ton pire ennemi…
- Vivre avec trop de masques = réduction importante de l’énergie vitale !
Bonne lecture !

une belle découverte. Merci.
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