Sandrine Beau
Alice tertio

Deux heures.
Je l’ai lu en deux heures.
Je n’ai pas pu décrocher.
Malgré la gradation dramatique, oppressante, criminelle.
Car il s’agit bien de crime : sujet peu abordé en littérature, Sandrine Beau lève le voile d’un tabou : le viol des jeunes garçons.

Lenny, Saphir et Biscotte prenne la parole à tour de rôle. Ils racontent leur vie d’avant, parfaite dans ses imperfections : parents débordés, déménagement, petites sœurs envahissantes…mais la sécurité avant tout.
La sécurité quotidienne, celle qui semble tellement normale qu’on n’en a pas conscience tant elle coule de source.
La sécurité qui connaît un avant, mais pas d’après.
Monde du sport, proches de la famille, les prédateurs sont ces « monsieur-tout-le-monde », biens sous tout rapport. Bon père de famille, gars sympa(s), entraîneur de sport, boute-en-train, incarnation de la bienveillance, les prédateurs ont ce point commun d’être officiellement au-dessus de tout soupçon. Telles des araignées, ils digèrent la vie de leurs victimes lentement, avec une perversion parfaitement maîtrisée.


L’écriture exclue le pathos. Noir sur blanc, les mots imprimés déchirent mes yeux de lectrice quand bien même je savais que j’allais les lire. Le silence qui emprisonne les garçons est terrifiant. Le danger et la méfiance touchent désormais tous les aspects de la vie : l’intégrité du corps est brisée, les relations aux autres sont déréglées, les actions que l’on contrôle en permanence pour ne pas sombrer. Des années à vivre ainsi. Adolescence brisée. Épuisement, dégoût de soi, traumatisme, pensées suicidaires ou meurtrières, addictions : tels sont les quotidiens de Lenny, Saphir, Biscotte. Telle a été la vie d’Esteban, avant qu’il n’ose parler.

Esteban, le champion de judo, la terreur des tatamis qui voit son pseudo-équilibre de vie se retourner quand son fils approche des onze ans. Onze ans, l’âge que lui-même avait quand…(…vous avez compris…). Électrochoc, dépôt de plainte, procès : l’adulte ouvre la porte obscure de son enfance dans le bureau d’une psychologue. Ce premier pas le conduira jusqu’au tribunal, puis dans les collèges, les lycées pour témoigner.
Pourquoi continuer d’en parler ? Pourquoi ne pas tourner définitivement la page ? Parce que c’est juste impossible. Alors tant qu’à cohabiter avec des fantômes, autant prévenir que ça peut arriver. Et si son chemin croise celui de victimes, peut-être oseront-ils enfin parler à quelqu’un.
En filigrane, Sandrine Beau glisse quelques remarques pour élargir le débat : homophobie, la mini-jupe de la discorde. Parce que le viol est une abomination et que jupe ou pantalon ne sont pas des arguments pour justifier le passage à l’acte des violeurs. On médiatise davantage le viol qui touche les filles. Trop souvent on oubliait les garçons, jusqu’à ce roman.
Sans nous épargner, Sandrine Beau a choisi de donner la parole à quatre personnages. Quatre parcours, quatre façons de dire, quatre histoires pour comprendre qu’il n’y a pas qu’un mode opératoire pour en arriver là…
Ma lecture achevée, les larmes sont montées. Pour les p’tits gars du bouquin. Pour mes deux amies et leurs confidences douloureuses au lycée, puis à la fac. Pour ces jours où je me suis pris en pleine poire que la pédophilie était proche de moi. Pour le sentiment de honte glacée qui accompagnait mes amies. Bon sang, elles étaient victimes et c’est elles qui avaient honte ! Monde à l’envers, enfer sur Terre. C’est néanmoins (à mon humble avis), une lecture nécessaire.
(pensées pour Vanessa Springora, Sarah Abitbol, Flavie Flament)
Peut-être que cela en dérangera certains.
Sûrement que cela choquera.
Et peut-être que cela révoltera suffisamment pour que tombe le tabou, le silence, le déni.
Place à l’écoute, aux mots qui se délient, qui délivrent.
Au milieu du monde devenu noir, place à un peu d’espoir.

J’ai aimé ce que Mélimelodelivres en pense : https://www.melimelodelivres.fr/2020/10/le-jour-ou-je-suis-mort-et-les-suivants.html
c’est tellement, mais tellement…. je n’ai pas de mot mais c’est bien que ce livre soit là, existe.
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