Charlotte Bouquet
Flammarion jeunesse

Dessiner ou ne pas dessiner, là est la question.
Écologie brûlante, adolescents engagés au point de sécher les cours tous les vendredis alors qu’il y a LE bac dans quelques mois, le roman commence tambour battant. Roxanne suit le mouvement, galvanisée par Maelys, sa meilleure pote (BFF pour les intimes : Best Friend Forever).
Maelys, la Greta Thunberg du lycée Sainte Thérèse, voix haute, charisme magnétique qui draine les autres dans son sillage au militantisme assumé. Roxanne suit…pour garder l’amitié de Maelys, pour maintenir l’opportuniste Clara à distance. Roxanne suit parce que quand on ne sait pas vraiment où aller, c’est plus facile de suivre. Roxanne suit jusqu’à ce dimanche. Ce dimanche où le rassemblement pacifiste a tourné court.

Il était pourtant beau le tas d’ordure sur la place publique.
Elle était bien partie cette journée aux hashtags #youthforclimate #climatewarrior
Ils étaient bien briefés les CRS quand ils ont chargé.
Il a bien giclé le sang…du visage de Maelys quand elle a été touchée.

Maelys à l’hosto, lycéens traumatisés et Roxanne hantée-culpabilisée-paumée, psychotrauma et tout le tralala de flashbacks qui tournent non-stop. Psychothérapie ? Roxanne y va, plus pour ses parents que pour elle-même. Les amarres sont en train de lâcher. Roxanne sèche, Roxanne erre dans le parc, Roxanne ne sait pas vraiment ce qu’elle veut mais elle commence à sentir ce qu’elle ne veut pas. La dissonance enfle, l’oppresse, l’étouffe. Les chemins qu’on lui montre sont comme autant de murs. La pression parentale à la sauce « passe ton bac et fais des études bien propres » l’éloigne, la décroche, fait céder des illusions et tendent à créer une brèche. La corde craque un peu plus quand la rupture d’amitié avec Maelys s’enflamme : Roxanne ne s’y retrouve pas dans ce combat. Roxanne ne peut plus suivre, lâche le groupe, se sort du bastringue d’hyper-instagrammisation que son ancienne BFF met en place pour soutenir les actions #youthforclimat



Un masque en moins, des milliers de pensées en prime…Jackpot !
Des jours et des jours de dissociation pour revenir brutalement « dans ses pompes » le jour où, lors d’une énième errance, Roxanne découvre une corneille blessée dans le parc. De l’apathie à l’action, parfois ça ne prend que quelques secondes. Tout faire pour sauver l’oiseau, et voilà que Charlotte Bousquet déroute la lectrice que je suis : exit pour un temps l’écologie, l’introversion malsaine : en avant les ressources pour sauver un oiseau – commun – nuisible paraît-il (WTF??) . Une consultation vétérinaire plus tard, des heures de recherche sur le net pour être certaine de bien s’y prendre et la corneille baptisée Raven commence sa convalescence dans la chambre de Roxanne.

Le corbeau thérapeutique : je ne connaissais pas mais visiblement ça marche. Roxanne dessine Raven. Roxanne dessine comme on respire, par nécessité. Roxanne se réveille, s’implique, se révolte, commence à entrevoir une troisième voie que celle du redoublement ou de la fac dont elle se fiche éperdument. Roxanne s’offusque de la décision municipale de « réguler la population de corvidés »…traduction : les dézinguer, les tuer parce que…ben c’est nuisible. C’est suffisant comme argument. Nuisible = bon à dégager. Et bim, orientation animaliste du roman. Est-ce que détruire est la seule réponse que l’humanité peut trouver ? (vous avez quatre heures, ça tombe bien, le jour de régulation est prévue le jour de l’épreuve de philo…).


Aller à la rencontre de soi est un chemin que personne ne fait de la même façon. Pour certains ça semble linéaire, évident, écrit d’avance et y a qu’à suivre. Pour d’autres c’est plus nébuleux, sinueux voire complètement opaque. Qu’on soit au pied de la montagne ou au fond du tunnel, ça peut paraître infranchissable. Et quand les injonctions parentales s’y mettent, que faire ? Quand on entrevoit notre vibration profonde, faut-il prendre le risque de l’éteindre pour ne pas risquer de défausser notre image aux yeux des autres ?
MAIS au fait : et si on laissait de côté un instant le regard des autres pour se concentrer sur le seul qui importe : le nôtre. Où se cache-t-il ? Qu’il se montre ce beau et grand JE !
Ou alors une petite nuance : ne prendre que les regards qui nous surprennent, qui nous révèlent à nous-même…Bravo Nadir et Juliette, d’avoir senti, d’avoir compris, d’avoir cru en Roxanne, en la potentialité de ses ailes alors même qu’elle soigne celle blessée d’une corneille. La discussion des parents entre eux sur leurs « rêves » de jeunesse est édifiante…est-ce qu’elle suffira ?


L’air de rien, Une fille dans la foule agite, réveille, secoue, bouscule…et m’a émue (forcément, surtout page 225 où ça a commencé à couler…un jour je raconterai comment j’ai sauvé une mésange, un peu de la même manière, avec les conseils du référent LPO de mon secteur…mais je m’égare..). L’autrice oriente vers l’écologie, interroge les prises de positions politiques et répressives, expose les manipulations des médias, met le cap sur la question fondamentale « qui suis-je ? » flanquée de sa jumelle « qu’est-ce que je veux ? », bifurque vers la cause animale…tout est lié, relié, connecté, réseau-sociauté. Les ados s’engagent, parviennent à drainer du monde dans leur sillage. Charlotte Bousquet engage, à différents niveaux, différentes problématiques : choisir son avenir, sa façon personnelle d’être citoyen, et comment assumer tout cela.
Cerises sur le roman : les dessins de Charlotte Bousquet-Roxanne tout au long des pages ! De l’esquisse « pour passer le temps » en cours aux corbeaux croqués dans le parc, des portraits à l’envol final, ils disent aussi là où les mots trouvent leurs limites.
Mon petit doigt me dit qu’on a tous croisé l’un des ados présents dans ce roman. Peut-être même qu’on pourra se reconnaître dans certains traits. J’en retiendrai qu’à tout âge, ce qui importe ce sont nos choix, nos engagements ou non-engagements, décidés dans le respect et la bienveillance de notre propre regard (ma meilleure amie, ma BFF, c’est moi !).
Bonne lecture à tous et Hashtag les-corbeaux-sont-nos-amis !

oh que c’est beau, très belle chronique. Merci
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