Mickaël El Fathi
Éditions Motus

Les mots façonnent, résonnent, détonnent.
Quelquefois ils fredonnent, bourdonnent, carillonnent.
De loin on les entend raconter, inviter, illuminer les choses, les êtres, les lieux.
Ils nous habillent, nous comprennent, nous abandonnent parfois…

Mo-Mo, un matin, découvre qu’il a perdu ses mots. Après maintes recherches, il renonce à s’accommoder du constat de perte. Si ses mots n’y sont plus, c’est qu’un voleur est passé par là. Assurément. Sauf qu’au commissariat, on ne le croit pas. Pire, on lui explique qu’ils ont dû s’enfuir – que c’est classique de nos jours – et puis on le congédie car on a autre chose à faire.



Donc, puisqu’il ne peut compter que sur lui-même, Mo-Mo part en quête de ses mots. Comment, lui le poète, comment pourrait-il vivre sans eux ? Il se rend au pays des mots : devant lui se déroulent des chemins pavés d’alphabets du monde entier. Ce n’est qu’un bref aperçu de ce qui l’attend à destination. Au terme d’un long voyage, il arrive dans un pays qui me semble familier. C’est qu’il ressemble étrangement à celui exploré par Jeanne et Thomas dans La Grammaire est une chanson douce (merci Erik Orsenna). Dans ce Mot-Zambique là, il y a partout des mots et les gens qui vont avec. Ces derniers ne tardent pas à remarquer que Mo-Mo n’est pas comme les autres. Sans ses mots, Mo-Mo dérange, dénote : comment ose-t-il s’exhiber « dé-mot-er » ?


C’est dans ce chaos que Mo-Mo va repérer un chemin pris par les mots…et une silhouette : c’est la femme-Gazelle. Orpheline elle aussi de tout moyen d’expression, ils se reconnaissent et c’est ensemble qu’ils vont continuer de suivre leur chemin tel des Petits Poucets. Parviendront-ils à retrouver leurs mots au terme du voyage ?

C’est donc un album sur les mots. Ils sont omniprésents, ils font socle, fondation de l’illustration. Du chien au phare, du vélo au Paque-mot, ils sont bases, fondations, armes ou caresses. Les mots définissent le monde et les êtres.
Sans mots, comment définir, expliquer, aimer ?
Sans nos mots, qui sommes-nous ?
Sans les mots, que devenons-nous, pauvres êtres fondamentalement communicants ?

Si Mo-Mo est très touchant dans sa détresse, je m’interroge sur le pourquoi de la fuite des mots. Qu’est-ce qui peut pousser à prendre le large ? Mo-Mo le poète aurait-il, à son insu, perdu de vue leur lumière ? Parfois on malmène les choses qui nous sont chères. Les conséquences échappent à notre conscience…mais n’en sont pas moins terrible. Quand le mutisme, le bégaiement ou l’aphasie frappe, c’est un abîme d’angoisses qui s’installe. Le dialogue devient intérieur. Il faut se rencontrer soi-même pour pourvoir changer.

Dans mon « Qui suis-je ? » je vous dis que je ne suis pas bibliothécaire, pas libraire, pas pâtissière. En fait, une partie de mon métier c’est de prendre en soin ceux qui ont perdu leurs mots à cause d’un problème de santé. C’est ainsi, il se passe des choses pas drôles dans la caboche…Je ne suis pas guérisseuse de mots, mais j’ai conscience de leur absolue valeur et du labeur que c’est pour les récupérer.

Les mots retrouvés donnent des ailes et réveillent la couleur, la vraie nature des choses, des gens, des sentiments.


Merci Mickaël El Fathi pour cet hommage aux mots, ces paysages chaudement lettrés, sublimement dépaysants. Je me suis délectée (et me délecterai) avec cet album : quel merveilleux mot-ment !


La Rue Kétanou n’a qu’à bien se tenir !
(Pssst : vous saviez qu’au Mozambique il y a 43 langues et dialectes ??).