Prospérine Virgule-Point et la phrase sans fin

Laure Dargelos au texte et Céline Perrier aux illustrations internes

Éditions Rivka

Une fois n’est pas coutume, je commence cette chronique par mes impressions à chaud. C’est un heureux hasard qui m’a conduite devant cet ouvrage lors des dernières Imaginales. J’ai ri, sursauté, je me suis mise en apnée, mes yeux se sont écarquillés. Je viens d’en achever la lecture et tout du long ce fut surprenant, déroutant, haletant et génialissimement frais !

Prospérine Virgule-Point, fleuriste de son état, vit dans le village de Demi-Mot. Sa vie aurait pu se poursuivre paisiblement mais c’était sans compter sur la découverte un beau matin d’un cadavre dans sa boutique.

Qui a bien pu tuer Tom W et surtout, pourquoi ?

Que signifie ce mystérieux « la phrase m’a tué » gravé sur une tige ?

Dans la foulée, voilà qu’un Z du « texte » du village vient de s’écrouler. Que se trame-t-il dans ce bourg où d’ordinaire, il ne se passe jamais rien !

Prospérine, qui a oublié d’être crédule, ne se satisfait pas des conclusions de l’enquête hautement bâclée, et flanquée du revêche Honoré Point-Virgule (aucun lien de parenté entre ces deux personnages), d’Héloïse une Trompette à Pétales et d’Ernest, son jeune frère champion de plongée livresque, la voici en partance pour la capitale avec pour mission de rentrer en contact avec l’Auteure de la phrase sans fin. Tant pis si pour se faire, il faut enfreindre la loi : la survie de Demi-Mot n’a pas de prix. Mais la mission n’est pas sans danger car un tueur à gage, alias M.A.N.O.N.Y.M.E. rode…

Laura Dargelos a réussi l’exploit de créer un univers où lettres, textes, accent, encre, apostrophe et tout ce qui constitue les fondations et l’architecture de la littérature s’incarnent pour devenir des éléments vitaux, identitaires, architecturaux. Ainsi quand Prospérine perd accidentellement son accent et devient « Prosperine », cela s’apparente à une amputation pour la principale intéressée. Heureusement pour elle, une sorte de « prothèse accentuée » lui sera proposée comme palliatif, mais je n’en dirai pas davantage…Par ailleurs, le parler de la capitale, avec ses phrases toutes « majusculées » en dit long sur la pédanterie qui siège chez les nantis de la grande ville. Il m’a fallu un peu de temps pour m’immerger dans le fantastique de cette fiction. J’y ai retrouvé quelques échos croisés dans ma lointaine lecture de La Grammaire est une chanson douce (d’Erik Orsenna). Progressivement la magie opère et je me suis surprise à observer la curiosité grandissante d’Honoré pour la quête de Prospérine.

Quand les alliés se révèlent, c’est que les complots ourdissent entre deux pages. L’enjeu serait-il pour cette matière première en cours de raréfaction : l’encre ? Dans une habile métaphore, Laura Dargelos convoque son lectorat sur des sujets polémiques tels que la course du capitalisme, la psychorigidité administrative, les enjeux liés aux énergies renouvelables et l’anticonformisme. Croyez-moi (ou pas), c’est dinguement délicieux à lire. Hercule Poirot et ses honorifiques moustaches n’ont qu’à bien se tenir devant les macarons de Prospérine ! Pour couronner l’ouvrage, sachez que cet OLNI (Objet Livresque Non Identifié) est rythmé par les illustrations de Céline Perrier (la sœur jumelle de l’autrice). Entre les dessins, la typographie qui se lâche et les passages dans l’envers de l’entre-texte, la lecture de ce roman sautille, rebondit et tient en haleine notre curiosité de la première page au point final.

Merci Laura Dargelos de bousculer un peu vos lecteurs et lectrices dans ce grand jeu linguistico-syntaxico-orthographico-diacritique saupoudré de ce petit quelque-chose à la « Roald Dalh » et avec cette intrigue menée avec une classe « Agatha Christie » ! Personnellement, j’en retiendrai que peu importe la forme, tant que le fond reflète l’envie de poser des mots sur papier, que ce soit à l’encre violette ou sympathique, au crayon de papier ou au feutre, écrivons donc pour inventer, se souvenir, faire vivre les mots et s’amuser des possibilités infinies de notre créativité !  

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