Monsieur Remarquable

Olga Tokarczuck et Joanna Concejo

Traduit du polonais par Margot Carlier

Éditions Format

L’album photo d’une enfance apparemment heureuse défile en préambule. Couvé par le regard aimant de ses deux parents, un enfant y fait ses premiers pas. Plus grand, un stetson sur la tête il s’essaye à l’équitation western ou rencontre le Père Noël. Serait-il seul sur la photo ou entouré de sa famille : toujours il affiche un sourire. C’est quand il arrive à l’âge adulte qu’Olga Tokarczuck nous en dit un peu sur lui. Devenu grand, sa belle gueule lui attire toutes les sympathies.

Pourquoi se priver ?

Pourquoi résister ?

De quoi est-il question ? Des sirènes des pixels !

Au réflexe des selfies matin, midi, soir voire au milieu de la nuit, il cède corps et âme ce Monsieur Remarquable. Il faut dire que le geste est rapide, et la technologie moderne rend tout cela si facile. L’enfant joli est devenu accro à la dopamine ! On le reconnaît, on l’adule. Il est partout, et tout le temps, il s’auto-flashe. Quoi de plus évident que le web et ses réseaux sans fin pour immortaliser, quoi au juste : l’eau du bain – la fête foraine – le coucher de soleil ? Oui, mais jamais sans oublier le principal et remarquable figurant. Sauf que, contrairement à Dorian Gray et son célèbre portrait, la stratégie narcissique, ici, se retourne contre lui. Quand, sur les réseaux sociaux les photos de sa bobine circulent abondamment, dans le miroir le modèle original s’estompe, se dilue, se floute, se perd !

Comme elles sont mouvantes, les frontières que l’autrice place entre réel et fantastique. Serait-ce une dystopie ? Une parodie ou une caricature de ce monde qui fige tout à trac ? Parce que le conte ne finit pas sur un visage qui s’efface. Quand on est drogué par sa propre image, on ne décroche pas comme ça.L’homme est infatué, c’est donc vers le marché noir qu’il se tourne pour se procurer un nouveau visage.

La satire convoque à dessein un petit effet d’agacement, qui se mue rapidement en de l’effroi. Le souvenir du Horlat (Guy de Maupassant) me frappe soudain, à moins qu’il ne s’agisse de 1984 (George Orwell). Folie et panurgisme prennent le contrôle. La gradation dramatique enfle, se dissimule dans un bouge où un effrayant trafic de visages profite au maître des lieux. Sans bistouri ceci dit : la chirurgie esthétique moderne s’exerce sans bloc opératoire. Voilà qui est bien pratique ! Ou pas… En ce qui concerne le porte-monnaie, sachez qu’il risque de ne pas s’en remettre.

Joanna Concejo remet cela : après Une âme égarée, la voici qui illustre à nouveau les mots d’Olga Tokarczuck. La surabondance de photographies, le morcellement d’une vie et la pixellisation déliquescente du soi se succèdent, nous révélant un quotidien bien sombre, qui s’éclaire parfois de l’éphémère d’une fête foraine ou d’un feu d’artifice. L’ouvrage cultive sa singularité avec ces photos-illustrées et le mystère qui auréole à deux reprises les pages à déplier.

Je suppose que toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait « absolument » fortuite, ou bien le fruit d’un très grand hasard… Ce serait alors une in-cro-ya-ble coïncidence ! Le message est fort, provocant. Y percevrez-vous ce que j’y entends en filigrane : moins de virtuel – plus de réel !

J’ai traversé cette lecture mi-figue-effrayée, mi-raisin-amusé. Quitte à choisir, je laisse sans regret l’option « remarquable » pour garder sans hésiter l’option Monsieur Personne. Peu m’importe de perdre la face tant qu’on peut allumer des étoiles !

Un avis sur « Monsieur Remarquable »

  1. Étonnement, puis tout une foule de sentiments divers et variés en feuilletant à travers tes clichés cet ouvrage avec un thème au combien puissant. Illustrations fortes . Merci pour cette découverte.

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