Yves Pinguilly et Zaü
Rue du Monde

La rentrée des classes m’a donné envie de relire cette histoire pour le moins poignante.
Elle pourrait être vraie.
Elle l’a sans doute été.
Ça commence avec l’insouciance, le goûter à la fin de la journée. Légèreté illusoire quand soudain les cloches se mettent à sonner…glas de la sérénité. Bientôt les papas, les frères, les cousins, les fiancés, les voisins, les amis et même le boulanger doivent prendre le train.


C’est la guerre.
Pour les hommes c’est la guerre.
Pour les autres c’est la vie qui doit continuer.


Pour les enfants c’est l’école jour après jour, la maîtresse dans sa robe rose qui fait danser les enfants, les mathématiques. Adèle grandit et va tous les jours à l’école, parce que la vie doit continuer.

Sa mère travaille dur. Adèle est là le jour où le maire vient voir la maîtresse. C’est un vieux monsieur : c’est pour ça qu’il n’a pas été mobilisé. Il a quelque-chose à dire à l’enseignante, quelque-chose que les enfants n’entendront pas. Le lendemain la maîtresse est vêtue de noir. Les enfants se questionnent. L’un d’eux explique aux autres que son fiancé est mort à la guerre. Dans les jours qui suivent, la soustraction des vies se poursuit. Le noir se répand dans les vêtements et les cheveux, les rires s’éteignent, les jours passent, les mois, les années jusqu’à ce jour où les cloches se remettent à sonner : on est le 11 Novembre.




Est-ce un album ou un documentaire ? Les deux, vous répondrai-je !
Je m’interroge souvent : comment parler de la guerre aux enfants ? Comment leur expliquer que dans notre Histoire il y a ces parenthèses d’enfer ? Sans être frontal, Yves Pinguilly passe par les yeux d’Adèle pour en parler. L’enfant raconte les étapes, les cloches, le départ, les vêtements noirs de la maîtresse, les vêtements noirs de son amie Yvonne. Zaü aux illustrations montre ce que l’enfant ne voit pas : les uniformes, les larmes de la maîtresse, les tranchées et les blessés.

Sans focaliser dessus, Yves Pinguilly évoque la vie dans les campagnes et la mission des femmes qui doivent assurer, pour leur survie, les travaux des champs. Ces femmes qui ne peuvent combattre sur le front et qui pourtant se dépasseront pendant ces quatre terribles années. C’est important aussi, il faut le dire, l’écrire, pour que cette étape de l’émancipation des femmes ne soit pas oubliée.

La terreur n’est pas dans la cour de l’école ni dans les champs. L’effroi est dans l’absence qui devient définitive, dans le chagrin insondable des camarades et de la maîtresse, cette maîtresse qui a choisit la dignité au pathos. Cette maîtresse choisit ses élèves et l’instruction pour que la vie se maintienne et finisse par gagner. Depuis ma place de lectrice, c’est dans mes yeux que les larmes montent en même temps que ma gorge se serre. Encore une fois le factuel de l’écriture laisse au lecteur la possibilité d’ajuster son curseur de compréhension à son niveau de connaissance. L’enfant y suit Adèle et son témoignage, l’adulte découvre une tranche d’un quotidien bouleversé : réalisme, sobriété et émotion. Cette maîtresse aurait pu être mon arrière arrière-grand-mère, ou la vôtre.


Merci Yves Pinguilly et Zaü pour cet album fort en pudeur et contraste, tel un témoignage qui donne envie d’allumer une bougie…pour se souvenir de ne pas oublier ce jadis, ces souffles retenus pendant quatre ans, ces larmes versées, ces courageux dont il reste les noms écrit en dorés sur les monuments.



