Textes de Julia Billet
Univers sonore de Nicolas Côme
Photographies de Patrick Jacques
Éditions du Pourquoi Pas ?

Je présente essentiellement des albums pour enfant. Parfois je digresse vers la littérature jeunesse, quand un roman s’imprime particulièrement dans mon cœur de lectrice. Aujourd’hui, parce qu’il m’a bouleversée, j’écris sur un ouvrage atypique. Il tient du documentaire mais il est bien plus en vérité. On l’ouvre et on découvre des photographies, un récit d’anticipation, des tranches de vie sous forme de nouvelles et pour ajouter de l’authenticité à tout ceci : des enregistrements-collectages d’échanges sur le terrain. Quel terrain ?

Un terrain humain.
Un terrain mystérieux, peu connu, injustement méconnu.
Celui des gens du voyage.


On les appelle manouches, romanichels, gitans, tsiganes…
Ils nous appellent « les sédentaires », gadjos ou gadjés…
J’ai lu ce que Julia Billet a écrit.
J’ai regardé ce que Patrick Jacques a saisi via les photographies.
J’ai écouté les captations directes de Nicolas Côme.
Et…j’ai pleuré, j’ai écarquillé les yeux, j’ai ri aux éclats !
Mais ce n’est pas tout.

J’ai aussi eu honte en me retrouvant face à certains préjugés.
Honte par solidarité, parce que personne ne mérite le racisme ordinaire.
Honte que ces pensées, par ignorance, aient pu m’effleurer par le passé.
Honte de leur avoir prêté l’oreille sans réagir quand j’entendais autrui les proférer.
Parce que c’est facile O combien facile, quand on ne connaît pas, de céder à la méfiance plutôt qu’à la tolérance.
Et puis je me suis sentie envieuse, envieuse de cette liberté qu’ils cultivent, de ce sens de la communauté qui donne un sens à leur vie, de la confiance qu’ils accordent à chaque membre de la famille.
J’ai ri :
- d’imaginer la grand-mère mourante qui réclame…une clope en plein milieu de la nuit.
- des stratégies du gadjé amoureux transi qui achète plein de paniers juste pour approcher celle pour qui il a eu un véritable coup de foudre.
- de la stupeur du producteur quand le jeune musicien prodige refuse la carte de visite parce qu’il ne sait pas envoyer de mail…

J’ai eu la gorge serrée :
- en me représentant les enfants scolarisés pour quelques semaines, dans une énième école, relégués au fond des classes…
- aux hérissons crayonnés pour remplacer le dessin de caravane qu’on leur demandait systématiquement de dessiner…
- en apprenant le pourquoi d’une collection de petits chaussures de bébé…
- en apprenant que sur les cartes d’identité sont inscrites trois lettres : SDF.

J’ai envié :
- la chance qu’on donne à celui qui veut jouer de la guitare alors qu’il aurait dû passer sa vie à tresser des paniers…
- qu’on accepte la réserve de celle qui ne veut pas parler…
- le choix ou pas de la religion, qui se fait quand on est grand.
- ce que représente le mariage à la gitane !

Entrer dans cette lecture, c’est lever le voile sur des gens qu’on imagine différents. C’est prendre conscience du dilemme qui peut titiller la conscience des enfants quand ils entrent dans le monde de l’écrit, ce monde resté étranger à leurs parents. C’est se rappeler que jadis il n’y a pas si longtemps,ils ont connu la persécution et la déportation…Est-ce que cet ouvrage remettrait quelques pendules à l’heure ? Assurément !


Qu’est-ce qui « dérange » le plus les sédentaires vis-à-vis du nomadisme ? Je m’interroge. Les questions tournicotent et s’entrechoquent.
La différence : c’est quoi la différence ? Et en quoi est-elle dérangeante ? Quand je regarde les photos, je vois des hommes, des femmes, des enfants. Leurs visages sont attentifs, graves, fendu d’un sourire, hésitants, fiers. Nous les rencontrons en noir et blanc. On en capte immédiatement l’essentiel. L’œil ne peut pas échapper à l’intensité de leurs regards. Noir et blanc donc : deux valeurs pour souligner la leur.

Julia Billet de tout cœur j’implore, que ce qui ouvre et conclu l’ouvrage restera à l’état de fiction. Cela m’a fait cruellement penser au « Village de Bamboula ». Espérons qu’Un Air de Voyage remplisse une belle et longue mission d’ambassadeur auprès du plus grand nombre, que les lecteurs auront le courage de s’aventurer entre ces pages éclairantes.

Je t’invite, toi qui passes sur ce blog, à oser plonger dans cet ouvrage passionnant. On n’en ressort « pas comme avant » et…c’est très bien comme ça. Une phrase m’a particulièrement marquée : « (…) si tu veux savoir qui tu es, le demande pas à un autre, demande-le à ton cœur.». Mon petit doigt me dit que je n’ai pas fini de méditer dessus.


Pour continuer, pour en savoir plus sur la démarche initiale, par ici il y a encore à en lire :
https://www.editionsdupourquoipas.com/des-albums-pour-vivre-livbres