On n’a pas allumé la télé

Bénédicte Rivière et Maurèen Poignonec

Les éditions de l’Elan Vert

Est-ce que la télé est l’élément indispensable pour passer une bonne journée ?

Pt’être ben qu’non…

Des amateurs pour s’ennuyer ?

Dans cet album, Luce et Robin nous embarquent dans leur journée écran-free. Car c’est bali-balo-pas’d’bol : la télé est en grève aujourd’hui. On ne sait pas pourquoi et ce n’est pas très important. (pssst en fait c’est la faute du chat !).

Journée galère ? Ou pas tralalère !

Le programme est hyper varié : en une journée Luce et Robin vont devenir inventeurs, magiciens et plein d’autres choses et aussi embellisseurs du monde ! Toutes les pièces de la maison y sont passées : ça déménage de la chambre au grenier en repassant par la chambre, le salon, la cuisine. C’est fou le nombre de choses qu’on peut vivre dans une maison !

Rajoutez-y un bon stock de peluches, des cartons, des choses à touiller, quelques feuilles de papier, un bon goûter et des parents attentionnés : mélanger le tout et vous obtenez une fabul’heureuse journée.

L’imagination des enfants est une succession de tableaux. Page après page, Bénédicte Rivière nous encourage à cultiver le trait d’union avec l’imagination. Les illustrations de Maurèen Poignonec font la part belle au jeu où dans une maison ordinaire tout devient extraordinaire.

J’y vois un léger message subliminal dans cet album. Le sujet de la surexposition aux écrans des jeunes enfants me tient particulièrement à cœur. Je suis témoin dans mon quotidien des difficultés incroyables que trop de télé-tablette-téléphone-ordi-console peut entraîner dans le développement des enfants sur les versants langage, communication en général, compréhension du monde, motricité, interactions sociales. Alors cet album, c’est juste une bouffée réconfortante. Luce et Robin transforment le vide de la télé hors service en une palette de possibles. Merci Minou !

Et vous les grands, cap’ de tenir une journée sans télé ?

A lire et relire et offrir à partir de trois ans.

Fergus est furieux

Robert Starling

Gallimard Jeunesse

Bonjour Madame Colère !

Fergus la connaît bien la colère, elle lui rend souvent visite. Chez lui ce n’est pas la moutarde qui monte au nez : c’est la fumée. Oh tant qu’elle monte ce n’est rien. Le problème c’est quand elle sort. Une colère de dragon, ça carbonise tout sur son passage. Allez hop, cramés les brocolis (encore les brocolis !), grillé le but du football, roussis les biscuits du boulanger (les pauvres, il fallait juste attendre qu’ils refroidissent), et je ne vous parle même pas de ce qui est arrivé au jeu de société.

Dure dure la confrontation à la frustration, aux repas équilibrés, aux règles du sport ou à la patience tout simplement. Fergus veut les choses tout de suite maintenant. Ou à l’inverse il veut que ça disparaisse. Finalement il excelle dans la deuxième option. Un souffle de dragon plus loin et oups, il n’y a plus rien. Pourtant, après coup il ne semble pas ravi ravi. 

Les autres qui ne sont pas ravis ravis ce sont ses camarades (et le boulanger). Ils ne veulent plus de la compagnie de Fergus, lequel tout déconfit, vient confier son désarroi à sa maman dragon. Elle lui explique sa maman, que tout petit dragon qu’il soit, il n’est pas normal que tout parte en fumée quand il se sent très contrarié. Attention il a le droit d’être en colère : ça arrive à tout le monde. Toutefois peut-être que quand Colère s’impose, on peut trouver un « truc » pour la soulager…autrement qu’en faisant tout brûler.

Fergus écoute attentivement sa maman, et il a vite l’occasion de réfléchir concrètement à ce qu’elle lui a dit. Une partie de jeu vidéo qui tourne court, en voilà une aubaine pour Colère…ou pas. Les mots de maman résonnent dans les oreilles du petit dragon. Et s’il l’essayait le « truc » de maman ? Youpi ça marche ! Dès lors Fergus se renseigne sur le « truc » de Corbeau, Renard, Loup, Chat, Lièvre…chacun lui livre son astuce anti-colère. C’est ça qui est chouette : il n’y a pas qu’une recette, il y en a plein en fait !

Pas facile la frustration ! Comment apprend-on à la gérer sans que tout déborde ? Vaste question. Cet album interroge sur les conséquences des débordements. Outre les destructions matérielles, Colère envoie aussi des étincelles sur l’entourage. Pas facile tout ça…Il y a un cadre et il faut faire avec.  Heureusement qu’il y a les mamans et leurs mots réconfortants. Colère peut nous dépasser quand on est petit. Et quand on grandit ?  Peut-être qu’on peut la repérer et lui envoyer une (ou des) stratégie anti-incendie.

Le feu du dragon dans l’histoire : où est-il passé ? Au lieu de tout enflammer, il se pourrait qu’il ait une chouette utilité pour certaines activités (il vous faudra regarder le livre pour le découvrir).

Pour les petits et grands dragons à partir de deux ans.

Va te changer !

L’Atelier du Trio

Cathy Ytak – Thomas Scotto – Gilles Abier

Éditions du Pourquoi pas

Il y a des livres dont on souhaiterait fort qu’ils soient diffusés partout :  dans les collèges, lycées, centres sociaux, lieux de médiation…

Quand j’ai eu ce livre en main la première fois, j’ai commencé ma lecture comme je le fais habituellement par les premières pages et, je n’ai pas pu m’arrêter. A la fin je pleurais. Rencontre avec un remueur de tréfonds.

Alors voilà Robin, un adolescent équilibré qui a une amoureuse, Jade et un meilleur pote, Sélim. Robin revient de Londres et en souvenir il s’est ramené une jupe. Pas un kilt, une jupe. Une jupe noire qui arrive au-dessus des genoux. Voilà, le costume est planté avec la jupe de la discorde. C’est une histoire somme toute banale : un ado en vacances craque sur une fringue qu’il ramène en souvenir. Sauf que quand le souvenir est un vêtement à orientation sexuelle caractérisée, ça risque de sentir le roussi…

(Vous saviez pas que les jupes c’est que pour les filles ???)

Un garçon qui porte une jupe ça fait tourner les têtes et les langues de vipères. Ça commence modérément par Maïa, la sœur de Robin (qui est accessoirement pionne dans le lycée de Robin). Se ramener en jupe au repas de famille dominical, ça fait tache.

Donc par un beau matin, Robin arrive au lycée en jupe. Du côté de Jade et Sélim ça ne fait pas trop de vagues. C’était sans compter sur Nolan. Ce dernier on ne met pas longtemps avec de l’identifier comme l’archétype du mec sûr de lui à mauvais escient, macho, intolérant et un maxi-brin pervers qui ne comprend pas le sens du mot « non » quand c’est une fille qui lui dit (oui en filigrane de l’affaire de la jupe, il y a l’affaire du mec qui embrasse une fille de force…Il a pas écouté « Quand c’est non c’est non » de Jeanne Cherhal…Tiens, encore une chanson qu’on devrait diffuser partout…à retrouver à la fin de cet article). Son nouveau sport national c’est d’envoyer piques sur sarcasmes pour distiller son poison verbal dans les esprits. Côté prof, on cherche l’apaisement des esprits. Côté élèves ça ricane, ça rembraye en crescendo à la suite de Nolan qui ne se sent plus d’avoir fait mouche. Au self le midi ça dérape.

Elles ont la dent dure les normes bienpensantes. Les railleries s’affirment, l’atmosphère se fait pesante, menaçante. Le coup frontal arrive par Maïa qui envoie l’ultimatum : c’est la jupe où exit la participation à la sortie de l’après-midi. Capitulation. Pendant que Robin se change, dans le bus la pression monte encore. Révolte, insulte, riposte, vengeance. Après les tensions relationnelles, un individu va souffrir dans sa chair. Sélim récolte le fruit de sa loyauté envers son pote et manque d’y passer.

C’est curieux : ce livre convoque dans ma mémoire un fait divers médiatisé en février 2019 : dans le Tarn un lycéen s’était fait rappeler à l’ordre parce qu’il se maquillait. Cela avait profondément choqué la mère d’une élève. Sauf que les élèves ont fait front contre les premières préconisations de la direction de l’établissement qui avait suggéré d’alléger le maquillage. Le lendemain, filles et garçons étaient arrivés maquillés au lycée…

Le fait de porter une jupe est-il synonyme de faiblesse ? Comment tordre le coup aux stéréotypes séculaires ? Quand on est une fille on doit s’habiller comme ceci. Quand on est un garçon on doit s’habiller comme cela. Le souvenir de mes années collège et lycée où je m’habillais de façon à ne surtout pas attirer les regards me revient de plein fouet. Et la peur que je ressentais alors : attirer les regards étant alors associé à « danger ». Se fondre dans la masse, ne pas attirer l’œil, trop risqué. Depuis j’ai grandi, vécu, découvert entre autres les bals folks, et les garçons qui dansent en jupe…ou qui dansent ensemble parce que juste ça leur fait plaisir, les filles également…sans spéculer sur une hypothétique homosexualité.

Bref, chapeau le Trio : il dégomme ce livre. Entre les questions du pouvoir des stéréotypes, l’importance du regard des autres, l’acceptation de la différence, le respect de l’autre et l’effet exponentiel du harcèlement, il y a de quoi faire chauffer la machine à cogiter.

Pourquoi penser comme ceci ou comme cela, marcher comme ceci, vivre comme cela. Et si on récupérait un peu de libre arbitre et de courage pour affirmer haut et fort « et alors » ?

A lire, jouer, diffuser le plus possible…

https://www.ladepeche.fr/amp/2019/02/20/albi-les-reseaux-sociaux-senflamment-pour-un-lyceen-maquille-faussement-menace-dexclusion,8027185.php

La toute petite voiture de Jeanne

Marie Tibi et Baptistine Mésange

Éditions de Plaines en Vallées

Les seules limites qu’on ait sont celles qu’on se met nous-même, tout seul comme des grands.

Grande Jeanne ne l’est pas. C’est une petite fille, qui rayonne de la fraîcheur de l’enfance. Elle exerce à merveille le pouvoir de l’imagination avec son jouet fétiche : une petite voiture rouge à laquelle il manque une roue.

Les aventures sont variées : sur la banquise, dans le désert de Gobi, dans l’espace étoilé ou en safari, il n’y a aucune limite. Même pas celle de la nuit puisque Jeanne dort avec sa petite voiture.

Jeanne apprécie d’avoir des invités pour partager ses histoires, c’est ainsi que son lapin ou sa petite sœur sont parfois du voyage. Même avec une roue en moins, la petite voiture peut aller loin. Même avec une jambe en moins, Jeanne sait qu’elle ira loin…

Je n’ai pas d’autre mot que « Douceur » pour parler de cet album. On est enveloppé de douceur et bienveillance avec Marie Tibi et Baptistine Mésange. Des images où le blanc est présent pour mieux laisser vivre les inspirations colorées de la fillette. Des mots simples, à hauteur d’enfant que nous recevons avec étonnement à la fin, surpris de n’avoir pas vu – ou d’avoir justement vu l’essentiel, peut-être ?

Car qu’est-ce qui différencie Jeanne des autres enfants ? Tant qu’on n’arrive pas à la fin de l’histoire, je répondrais « rien du tout ». La différence, qu’elle soit handicap visible comme une jambe absente, ou invisible, dépend des yeux qui la regardent. Ces yeux qui ont le pouvoir de stigmatiser ou d’accueillir, de juger ou de faire briller l’autre. Avec délicatesse cette histoire interroge notre regard sur les autres, et le regard qu’on porte sur soi.

Jeanne cueille la vie et croit en ses ailes. C’est avec confiance que j’ai envie de la suivre sur le chemin des possibles !

Pour rêver à partir de 3 ans

Sarayu

Deepika Arwind et Alan Mets

Le Cosmographe éditions

Et hop un petit saut en Inde ! Ami(e) lecteur/lectrice, ouvre tes yeux aux couleurs, tes narines aux odeurs de fleurs et d’épices, tes oreilles aux bruits de la rue. C’est un album sensoriel : on commence l’histoire avec des effluves de pain chaud.

Sarayu est brune, très gourmande et a très envie d’avoir un chien – ses parents en revanche en ont beaucoup moins envie. Sur le chemin de l’école, elle passe par le marché.

Sarayu retrouve son ami Venky au détour d’une rue. Alors qu’ils cheminent ensemble vers l’école, Sarayu aperçoit quelque-chose : un truc vivant non identifié. Venky est dubitatif. Il ne l’est pas très longtemps car en rentrant de l’école, il s’est passé quelque-chose au marché. Quelque-chose a mis la pagaille dans les étals : c’est la créature la responsable !

Comment aider la créature à échapper aux courroux des gens du marché ? Tout cela chiffonne Sarayu. Pour trouver une solution elle se lève très tôt mais ce n’est pas gagné car la créature a encore frappé sur le marché, et les gens sont très en colère.

Tels deux enquêteurs, Sarayu et Venky suivent les traces de la petite bête et quand ils la trouvent enfin, ils s’aperçoivent qu’elle est terrorisée…mais les gens de la fourrière sont déjà là et une course poursuite s’engage…en vain. La créature est attrapée, mise en cage. Cela pourrait se terminer ainsi mais Sarayu ne l’entend pas de cette oreille. Une petite mise en scène avec Venky et hop, libérée la créature !

Donc quant une autrice indienne rencontre un illustrateur français, cela donne une histoire taquine et sportive.  Alan Mets avec son trait espiègle donne vie et images à cette histoire. Les illustrations sont pleines de lumière. Les gens en colère font drôlement peur, surtout le type de la fourrière : celui-là je n’aurai pas du tout envie de le croiser en vrai ! Grâce aux mots de Deepika Arwind, on plongerait sans hésiter dans l’ambiance du marché à l’indienne. Merci au Cosmographe pour cet album dépaysant et détonnant de mouvement.

J’aime la générosité de Sarayu, Elle sauve l’animal différent, se dresse avec conviction contre les grands, et n’hésite pas à les rouler dans la farine pour atteindre son but. D’ailleurs en parlant de farine, il se pourrait que j’aie trouvé une recette de dosas que je me promets d’essayer très rapidement.

Affaire à suivre en cuisine !

A partir de 4 ans.

Le Phare à Voile

Mickaël El Fathi

Éditions la Palissade

Il était un phare immuable et son gardien dévoué à sa mission. L’histoire aurait pu rester ainsi.

C’était sans compter sur un poisson volant venu s’emmêler les nageoires dans la lumière du phare. Catastrophe pour le gardien : la lumière si essentielle pour guider les bateaux a plongé dans les eaux de l’océan accrochée au poisson volant. Un phare sans lumière : impossible. Il faut absolument la récupérer !

Un drap, une nappe et des rideaux en guise de voilure, le gardien devenu capitaine de phare s’élance à la poursuite de la lumière tout autour de la Terre. Quel voyage pour celui qui n’avait jamais quitté son rocher. Le poisson brillant lui fait faire le tour des océans. Il découvre d’autres horizons, de nouveaux gens.  Affrontant courageusement tempêtes et icebergs, le gardien n’aspire pourtant qu’à reprendre sa mission d’éclaireur depuis son rocher.

Un jour enfin il le retrouve. Il constate que les hommes ont érigé un nouveau phare qui éclaire efficacement les flots, sans nécessité d’un gardien. Soit. Que faire alors : trouver un nouveau rocher ? Recommencer ailleurs une vie consacrée à voir les autres passer ?  Plutôt que de se poser à nouveau dans l’immobilité, il ajuste sa voilure et en avant l’Aventure !

Qu’il y a-t-il de plus figé qu’un phare ? Alors un phare qui voyage, impensable ! Pourtant Mickaël El Fathi l’a fait. Et ce faisant, il tire un coup de chapeau à ces tours de pierres qui veillent sur les mers depuis la nuit des temps. Avec ses illustrations aux couleurs éclatantes, tantôt ensoleillées, tantôt explorant les nuances de l’océan, il nous convie à ressentir l’éblouissement et les cheveux dans le vent.

A la fin de l’album, vous découvrirez un petit clin d’œil à Cordouan et Ar-Men, gardiens des côtes françaises.

A partir de 4 ans

Éléphant a une question

Leen Van Den Berg et Kaatje Vermeire

Cotcotcot éditions

Il y a des livres qui me magnétisent : celui-ci en fait partie. Perdu au milieu d’un présentoir, cet éléphant et ses compagnons semblaient chuchoter : « viens nous rendre visite, tu ne le regretteras pas ». Fait et dit.

Donc Eléphant se pose une question existentielle : « comment sait-on quand on est amoureux ? ».

Heureusement pour lui, aujourd’hui c’est le jour de LA réunion annuelle. Cette année c’est Fourmi munie de ses lunettes qui préside en raison de l’absence de Monsieur Tortue.

Après quelques hésitations, il se lance. De Souris à Blanche-Neige en passant par les nuages, les étoiles, le pommier, le caillou et d’autres encore, les réponses se succèdent. Choc visuel ou variations thermiques, unions des contraires, délicatesse des gestes et mots doux offerts par-delà l’absence ou  dans une cour d’école, chacun y va de son petit grain.

En parlant de grain, Fourmi veille à ce que les échanges soient efficaces : pas de tergiversation ni de développement superflu. Eléphant semble avoir eu sa réponse, la réunion s’achève, chacun s’en retourne avec amour à ses occupations. Fourmi donne l’ultime coup de marteau, bienheureuse de pouvoir retourner enfin à ses priorités, toute seule mais surprise de se sentir un peu mélancolique.

L’amour se manifeste de bien des manières et c’est avec bienveillance que les réponses sont apportées. Les métaphores poétiques se déroulent, et les réponses des uns nourrissent celles des suivants. Après tout, chaque amour est unique et lié à ceux qui le partagent et l’entretiennent.

Les illustrations de Kaatje Vermeire, douces et foisonnantes de détails, sont un voyage où même après trente observations, je suis encore surprise. Les mots de Leen Van Den Berg sont une invitation à observer l’amour dans le quotidien des choses, pas seulement des humains.

C’est peu courant d’aborder cette question sous cet angle. L’Amour dépasse le vivant pour unir toute chose. Il se pourrait qu’on en découvre bien d’autres en gardant les yeux ouverts sur le monde autour de nous. C’est un livre apaisant, qu’on ait un amoureux ou non…

Pour petits et grands évidemment !

Entre chien et poulpe

Martin McKenna

Editions Père Fouettard

Ce titre, ce titre !!!!!

Je crois que c’est la première chose qui a fait que mes yeux se sont scotchés sur ce livre, au détour d’une allée du salon de Montreuil. Il a fallu que je le ramène avec moi !

Donc je vous présente un poulpe nommé Jarvis : « pour vous servir » ! (vous avez remarqué cette classe so british de Jarvis sur la couverture ??).

Enfin pour servir Edgar, son jeune maître. Lequel n’est pas content car il voulait un chien. Un chien classique, qui se couche quand on lui dit « couché », qui donne la patte quand on lui demande « donne la patte » …Vous voyez bien quoi : un chien chien à son maîmaître qu’il voulait Edgar.

Sauf qu’un poulpe ce n’est pas un chien. Ça énerve Edgar, puis ça l’insupporte, ça l’exaspère car Jarvis est tellement plein de bonne volonté qu’il fait tout TROP bien. Mais Edgar voudrait juste que Jarvis fasse tout comme un simple chien, ce n’est pourtant pas compliqué.

(Edgar, s’il te plaît, parle-le-lui correctement à ton poulpe sinon…)

A trop vouloir le faire rentrer dans un moule canin, Edgar va se retrouver tout déconfit. C’est dans les toilettes que Jarvis trouve sa porte de sortie. Poulpe désespéré de ne pouvoir faire le bonheur de son maître, il choisit de s’en aller. Il laisse un petit mot à Edgar pour s’excuser de l’avoir déçu.  Parfois il vaut mieux avoir le courage de partir par les WC plutôt que de rester.

Edgar se retrouve tout seul. Passer de trop à rien, la leçon est piquante. Surtout quand un petit œil jeté en arrière lui fait réaliser à quel point son poulpe il l’aime en fait. Edgar découvre la culpabilité, la solitude et une résolution : il veut retrouver Jarvis et pour cela, il est prêt à retourner terre et mer.

Ce qui est chouette avec les histoires c’est qu’il n’y a point d’erreur qu’on ne puisse corriger avec un pardon sincère à genoux devant la cuvette. Je vous laisse devinez la fin (il paraît que le poulpe n’est pas rancunier).

Donc un texte efficace et des illustrations qui ne le sont pas moins. C’est dynamique et comiquement cruel. Parce que Martin McKenna ne mâche pas les mots d’Edgar. Jarvis s’en prend plein les tentacules. C’est tellement gros que ça ne manquera pas de faire réagir les lecteurs, petits ou grands. En parallèle, Arturo Brachetti n’a qu’à bien se tenir : personnellement j’ai un faible pour Jarvis en Sherlock et en Queen Victoria.

C’est un sport à temps plein pour que les poulpes que nous sommes ne deviennent pas des chiens-chiens. Et réciproquement, pas simple de respecter le côté poulpe de chacun. Que faire du regard des autres quand il semble dire « pourquoiiii tu n’es pas un chien ? » ? Peut-être qu’il y a une petite question à se poser à soi-même : Moi qu’est-ce que j’en pense ?

Je pourrais développer pendant trois heures sur les thèmes de la différence comme qualité, c’est quoi la tolérance, reconnaître ses torts, le courage de s’excuser, ne pas chercher à s’adapter à tout prix, pardonner cultiver sa singularité, rester soi-même…etc. Intéressant ce livre pour faire de la médiation isnt’it ? !

 Merci Père Fouettard et vive la poulpitude, zébritude, girafitude, écureuillitude, hérissonitude, marmottitude, sauterellitude…Toc ! 

Pour tous les petits poulpes et les autres à partir de 3 ans.

Une pierre moins une pierre

Giuliano Ferri

Minedition

On parle beaucoup de murs ces temps-ci dans l’actualité. Il paraît même qu’un certain mur s’effondrerait…trop de vent…mais chut…(ah oui il y a eu la chute de ce mur aussi aussi en 1991 : CHUUUUUT).

Alors j’ai eu envie de parler de cette histoire de mur.

Souris se promène le long d’un mur. Il est grand ce mur : on n’en voit ni le début, ni la fin, ni la hauteur. Pourtant, tout de pierres qu’il soit fait, des fleurs poussent entre deux briques de pierre.

(Et toc, le pouvoir des fleurs…tralala…)

Souris cueille une fleur et se faisant, une brique en pierre tombe par terre.

Souris commence par être désolée, puis elle se rend compte qu’il y a quelque-chose derrière le mur. Mais quoi ? Pour mieux voir, il faut enlever d’autres briques. Chat passe par là, puis Cochon : Souris leur demande de l’aide pour porter les briques.

D’autres encore les rejoignent : ensemble ils ôtent tant de pierres que du mur, il ne reste bientôt plus grand-chose.

Et derrière il y a…tant de possible : le ciel, une colline, la mer et de l’autre côté de cette dernière, de nouveaux amis. Comment se rejoindre ? Il n’y a pas de pont. Et si on le construisait ensemble ?

Peu de mots en réalité dans cet album, les images parlent d’elles-mêmes. Si je digresse un peu sur un versant mathématique, l’idée me plaît que d’une soustraction (on retire, on retire) on parvienne à une addition (on ajoute on ajoute). Que du « moins » on se retrouve à « plus ». Que de la solitude on parvienne à l’union. Que d’une fleur on arrive à l’amitié.

Alors à vous qui me lisez, je vous souhaite plein de fleurs dans les murs, et de belles constructions.

A partir de 3 ans et plus … si vous aimez les ponts !

Mon Papa est un Zarzouilleur

Séverine Vidal et Eléonore Thuillier

Éditions les P’tits Bérets

Hummmm Miam le plaisir de prononcer « Zarzouilleur » : ça chatouille la bouche, c’est gourmand aux oreilles. Une vraie friandise ce mot !

Tout comme l’histoire de Zoé qui découvre les avantages et les demies-teintes d’avoir papa à la maison car il n’a plus de travail. Fraîcheur de l’enfance devant les doutes des adultes, Zoé tente les jeux de mots pour égayer les situations où « ça coûte les yeux de la tête », ou quand « son vélo est vendu pour pouvoir « mettre du beurre dans les épinards ». Toutefois, ses parents ne sont guère réceptifs à ses blagounettes.

La joie de la fillette commence à s’émousser devant les tracas des grands, et la tristesse s’installe quand elle comprend à quel point son papa est découragé. Car un papa ça ne peut pas être malheureux. Zoé entreprend de lister les potentiels métiers que son papa pourrait exercer. En tête de la liste qu’elle a accrochée sur le frigo : zarzouilleur !

Il semblerait qu’elle ait fait mouche Zoé. Le lendemain, c’est en équipe magique père-fille que des lettres ont été soigneusement mises sous enveloppe puis envoyées. Affaire à suivre…

Les illustrations d’Eléonore Thuiller égayent ce texte à l’aide petites touches comiques (je vous laisse découvrir la marque de l’eau qui pique, ou les engagements de la Poste). Séverine Vidal campe une Zoé déterminée, décidée à aider son père jusqu’au bout, parce que hein, il le vaut bien. (tout clin d’œil à une publicité célèbre serait totalement le fruit du hasard).

Peut-être que quand les grands perdent leur lumière intérieure de vue, les enfants découvrent qu’ils sont de bons rallumeurs. Le chômage peut bouleverser bien des vies. Celles des adultes sans aucun doute mais par ricochet, celles des enfants qui ne sont dupes de rien. Dans une société où l’on existe socialement à travers sa profession, comment se définir quand on n’a plus de travail ?  Comment ne pas se laisser abattre ? Peut-être avec la magie des enfants…il paraît que la vérité sort de leur bouche après tout !

A partir de 3 ans.