La récup’ des rêves oubliés

Hélène Gloria et Manuela Dupont

La marmite à mots éditions jeunesse

Vous ne connaissez pas la caralotte bigarrée de Margaux ? Vous pourrez la voir après la ville, les usines et le canal pollué. Elle se tient à l’abri d’un bosquet, sans porte, sans volet, là où la nature peut encore fleurir et où le vert l’emporte sur le gris. Manuela Dupont nous embarque dans une bicoque roulante étonnante où la magie se trouve dans les petites choses et petits trucs posés, scotchés et peinturlurés.

Et vous ne connaissez pas Margaux la réparatrice de rêves ? Dans cet album concocté par les mots d’Hélène Gloria, on pénètre dans un lieu joyeusement coloré et parsemé de vrac et bric à brac. Ici les choses ne sont pas intactes et c’est justement pour ça que Margaux les a récupérées. Sa spécialité : les rêves oubliés !

Elle a roulé sa bosse Margaux avec sa caralotte. Elle a vu plein d’endroits, plein de gens et à chaque fois le même constat : en grandissant les gens ont oublié leurs rêves. Parfois consciemment ou inversement, les rêves ont été refoulés, repoussés, éloignés, brisés.

Un rêve abandonné c’est malheureux. Margaux officie avec les rêves comme un médecin-nourrice : quelques soins, de la confiance, remettre un peu de couleur par-ci ou des plumes par-là et hop ! Raccommodés avec délicatesse, les rêves se voient offrir un nouvel avenir.

A qui les confier ? Aux grands qui les avaient déjà repoussés une première fois ? On ne fait pas deux fois le même rêve, ça ne marche pas comme cela. Devant cette déconvenue, Margaux reprend ses pinceaux pour rendre les rêves encore plus beaux. Les destinataires seront les enfants. Pas n’importe quels enfants : ceux que la vie a malmenés, ceux qui n’ont jamais pu rêver. Progressivement elle fait éclore l’enchantement dans les yeux des enfants qui n’y tenant plus, se saisissent de leur rêve pour de bon.

Mission accomplie, il n’y a plus qu’à poursuivre se dit Margaux. Jusqu’au jour où elle rencontre ce beau marin distributeur de rêves. Cœurs qui s’ouvrent sous la pleine lune, bien vite refermés : l’océan est possessif…Cœur brisé. Le temps semble s’être figé dans la caralotte, comme au Bois Dormant. Qui viendra réveiller Margaux ?

Grâce aux enfants, Margaux va raviver son rêve et ses pinceaux. De ce fait, son cœur trop gros le devient un peu moins. Un jour dans l’air flotte le parfum du marin…

A quoi rêvait-on quand on était enfant ? Combien de rêves avons-nous accomplis ? Combien en avons-nous laissé de côté ? Dans une société où le pragmatisme l’emporte sur la rêverie, il pourrait être facile de se laisser glisser sur la pente de l’oubli et rentrer dans un moule. Rêver se fait résistance, devient un acte militant : Nous voulons des rêves !

Laissez-moi rêver…

Laissez-moi décider de ce qui me fait vibrer…

Laisser-moi continuer au-delà de l’enfance pour réjouir les couleurs de ma vie…

Et puis il semblerait que rêver soit contagieux : tant mieux. Rêvons pour deux, pour trois, partageons, offrons. Plus il y a de rêves, plus il y a d’envies, de projets. Un rêve partagé avec d’autres, ce sont des occasions de se rencontrer, et peut-être de créer.

Parfois on peut perdre de vue son rêve, comme Margaux. Parfois on peut poursuivre un mauvais rêve, comme le marin. Dans les deux cas, la vie se charge de réajuster les projets, de faire évoluer les rêves, ou de les refaire sonner si on les a oubliés sur une étagère (dans quel état j’erre).

Dans ce livre on découvre que si au départ la vie n’a pas autorisé les rêves à faire partie du jeu, rien n’est définitivement joué. Note d’espoir ? Avec les rêves tout est possible, même l’impossible.

Merci merci Hélène Gloria et Manuela Dupont pour cet album frais comme un arc en ciel après la pluie.

Pour rêveurs de 6 à 115 ans.

Zimbo

Arturo Abad et Joanna Concejo

OQO éditions

Du bois sculpté, des ficelles, des mains habiles qui tiennent les ficelles : nous voici dans un théâtre où le metteur en scène est un vieux marionnettiste. Son but dans la vie est de voir briller les étoiles dans les yeux de son jeune public avec Zimbo, sa marionnette gracieuse. Mais Zimbo a changé. Zimbo est triste et ses ficelles n’ont plus leur fluidité d’antan. Elles sont lourdes de mélancolie. Que fait-on d’une marionnette qui souffre ? C’est que le vieux marionnettiste est attaché à Zimbo.

Alors il fait des tentatives pour lui remonter le moral en lui fabriquant de la compagnie et un nouveau décor. Mais à quoi bon ces artifices ? Zimbo est fatigué de ses ficelles. Zimbo voudrait pouvoir décider de sa vie, des paysages qui l’entourent. Blessé, le vieux marionnettiste refuse. Pas longtemps. Du haut de son théâtre il fait descendre la paire de ciseaux qu’il vient de fabriquer. Zimbo hésite peu avant de s’en servir. Il trébuche sur les premiers pas de la liberté. Les suivants le conduiront loin.

Qu’est-ce qui fait changer d’avis le marionnettiste ? Un souffle de souvenir. Peut-être qu’on ne peut retenir auprès de soi les gens qu’on aime sans en payer le prix… Les plus belles ficelles ne font pas le poids quand le cœur aspire à la découverte de nouveaux horizons. Au détriment de son bonheur, le vieil homme laisse partir Zimbo parce qu’il l’aime. Il accepte de sacrifier son attachement parce que l’épanouissement et la légèreté sont plus précieux que les entraves.

Son sacrifice trouve récompense. Zimbo libre, leur lien s’en trouve renforcé : en témoignent les cartes postales que le marionnettiste reçoit. Petit baume au cœur en attendant que les autres marionnettes commencent aussi à rêver à la paire de ciseaux.

La délicatesse des illustrations de Joanna Concejo nous guide dans la mélancolie de la marionnette puis vers ses espérances pour l’indépendance. La couleur finit par éclater bras grands ouverts après les pages poétiquement grises et sépia. On voyage au pays des émotions avec les mots d’Arturo Abad, tantôt en mode spleen mélancolique, amour et douleur, stupeur et audace.

Un livre qui nous incite à jeter un œil pour voir ce qu’il y a derrière le rideau de notre propre scène.

Pour ceux qui rêvent de partir et ceux qui doivent laisser partir ceux qu’ils aiment, à partir de cinq ans

Ce géant mon ami

Ingrid Chabbert et Lili la baleine

Maison Eliza

Luna a un meilleur ami peu commun : c’est un géant.

Un géant c’est très grand : celui-ci l’est tellement qu’il dépasse le toit des maisons. C’est très pratique pour voir le monde d’en haut : Luna se promène souvent sur son épaule ou sur sa main.

Un beau jour son géant n’est plus là. Est-il parti ? Luna fait tout pour le retrouver mais les jours passent et la laissent bredouille.

Une lettre géante arrive un matin. Enfin des nouvelles ! En fait son ami n’est pas parti : il s’est perdu et il ne sait pas comment revenir.

La fillette décide de le rejoindre. Ses parents l’aident dans ses préparatifs, puis c’est parti pour un long voyage sur l’océan, jusqu’à son ami et son sourire. Une fois ensemble ils pourront tout construire…

J’aime l’idée de l’amitié avec un géant, sans préjugé, sans focalisation sur sa différence pourtant de taille. Et réciproquement, le géant prend soin de son amie. Leurs partages sont authentiques. L’amitié vraie ne connaît pas de limite de taille ou de distance. Pour Luna, le géant est avant tout son ami. Et sans leur géante complicité elle n’est pas heureuse. Quand il disparait, il lui manque et ce manque la conduit à se dépasser. Il faut noter qu’elle a des chouettes parents : loin de la freiner, de chercher à la dissuader, ils l’encouragent, ils lui font confiance. Parce que ça déstabilise de partir : au revoir l’insouciance, bonjour nouveauté.

Comment construire la confiance en soi : tout seul ? Luna nous montre qu’avec une famille qui procure boussole et carnet de conseils, on peut se dépasser jusqu’à aller découvrir l’inconnu.

La vie c’est partir, lâcher les mains de papa et maman, trouver ses priorités. L’amitié c’est tout un programme. Grandir aussi. Avec des mots doux, Ingrid Chabbert nous prend par la main et Lili la baleine  berce notre imaginaire dans des tons pastels (j’aime particulièrement la pieuvre liseuse de Jules Verne). Merci Maison Eliza pour cette histoire rafraichissante comme un voyage sur le clapotis des vagues.

Pour les petites graines de géant à partir de trois ans.

Maison Eliza : maison d’édition engagée pour la protection des géants, de l’environnement et pour l’accès à la culture !

On n’a pas allumé la télé

Bénédicte Rivière et Maurèen Poignonec

Les éditions de l’Elan Vert

Est-ce que la télé est l’élément indispensable pour passer une bonne journée ?

Pt’être ben qu’non…

Des amateurs pour s’ennuyer ?

Dans cet album, Luce et Robin nous embarquent dans leur journée écran-free. Car c’est bali-balo-pas’d’bol : la télé est en grève aujourd’hui. On ne sait pas pourquoi et ce n’est pas très important. (pssst en fait c’est la faute du chat !).

Journée galère ? Ou pas tralalère !

Le programme est hyper varié : en une journée Luce et Robin vont devenir inventeurs, magiciens et plein d’autres choses et aussi embellisseurs du monde ! Toutes les pièces de la maison y sont passées : ça déménage de la chambre au grenier en repassant par la chambre, le salon, la cuisine. C’est fou le nombre de choses qu’on peut vivre dans une maison !

Rajoutez-y un bon stock de peluches, des cartons, des choses à touiller, quelques feuilles de papier, un bon goûter et des parents attentionnés : mélanger le tout et vous obtenez une fabul’heureuse journée.

L’imagination des enfants est une succession de tableaux. Page après page, Bénédicte Rivière nous encourage à cultiver le trait d’union avec l’imagination. Les illustrations de Maurèen Poignonec font la part belle au jeu où dans une maison ordinaire tout devient extraordinaire.

J’y vois un léger message subliminal dans cet album. Le sujet de la surexposition aux écrans des jeunes enfants me tient particulièrement à cœur. Je suis témoin dans mon quotidien des difficultés incroyables que trop de télé-tablette-téléphone-ordi-console peut entraîner dans le développement des enfants sur les versants langage, communication en général, compréhension du monde, motricité, interactions sociales. Alors cet album, c’est juste une bouffée réconfortante. Luce et Robin transforment le vide de la télé hors service en une palette de possibles. Merci Minou !

Et vous les grands, cap’ de tenir une journée sans télé ?

A lire et relire et offrir à partir de trois ans.

Fergus est furieux

Robert Starling

Gallimard Jeunesse

Bonjour Madame Colère !

Fergus la connaît bien la colère, elle lui rend souvent visite. Chez lui ce n’est pas la moutarde qui monte au nez : c’est la fumée. Oh tant qu’elle monte ce n’est rien. Le problème c’est quand elle sort. Une colère de dragon, ça carbonise tout sur son passage. Allez hop, cramés les brocolis (encore les brocolis !), grillé le but du football, roussis les biscuits du boulanger (les pauvres, il fallait juste attendre qu’ils refroidissent), et je ne vous parle même pas de ce qui est arrivé au jeu de société.

Dure dure la confrontation à la frustration, aux repas équilibrés, aux règles du sport ou à la patience tout simplement. Fergus veut les choses tout de suite maintenant. Ou à l’inverse il veut que ça disparaisse. Finalement il excelle dans la deuxième option. Un souffle de dragon plus loin et oups, il n’y a plus rien. Pourtant, après coup il ne semble pas ravi ravi. 

Les autres qui ne sont pas ravis ravis ce sont ses camarades (et le boulanger). Ils ne veulent plus de la compagnie de Fergus, lequel tout déconfit, vient confier son désarroi à sa maman dragon. Elle lui explique sa maman, que tout petit dragon qu’il soit, il n’est pas normal que tout parte en fumée quand il se sent très contrarié. Attention il a le droit d’être en colère : ça arrive à tout le monde. Toutefois peut-être que quand Colère s’impose, on peut trouver un « truc » pour la soulager…autrement qu’en faisant tout brûler.

Fergus écoute attentivement sa maman, et il a vite l’occasion de réfléchir concrètement à ce qu’elle lui a dit. Une partie de jeu vidéo qui tourne court, en voilà une aubaine pour Colère…ou pas. Les mots de maman résonnent dans les oreilles du petit dragon. Et s’il l’essayait le « truc » de maman ? Youpi ça marche ! Dès lors Fergus se renseigne sur le « truc » de Corbeau, Renard, Loup, Chat, Lièvre…chacun lui livre son astuce anti-colère. C’est ça qui est chouette : il n’y a pas qu’une recette, il y en a plein en fait !

Pas facile la frustration ! Comment apprend-on à la gérer sans que tout déborde ? Vaste question. Cet album interroge sur les conséquences des débordements. Outre les destructions matérielles, Colère envoie aussi des étincelles sur l’entourage. Pas facile tout ça…Il y a un cadre et il faut faire avec.  Heureusement qu’il y a les mamans et leurs mots réconfortants. Colère peut nous dépasser quand on est petit. Et quand on grandit ?  Peut-être qu’on peut la repérer et lui envoyer une (ou des) stratégie anti-incendie.

Le feu du dragon dans l’histoire : où est-il passé ? Au lieu de tout enflammer, il se pourrait qu’il ait une chouette utilité pour certaines activités (il vous faudra regarder le livre pour le découvrir).

Pour les petits et grands dragons à partir de deux ans.

Va te changer !

L’Atelier du Trio

Cathy Ytak – Thomas Scotto – Gilles Abier

Éditions du Pourquoi pas

Il y a des livres dont on souhaiterait fort qu’ils soient diffusés partout :  dans les collèges, lycées, centres sociaux, lieux de médiation…

Quand j’ai eu ce livre en main la première fois, j’ai commencé ma lecture comme je le fais habituellement par les premières pages et, je n’ai pas pu m’arrêter. A la fin je pleurais. Rencontre avec un remueur de tréfonds.

Alors voilà Robin, un adolescent équilibré qui a une amoureuse, Jade et un meilleur pote, Sélim. Robin revient de Londres et en souvenir il s’est ramené une jupe. Pas un kilt, une jupe. Une jupe noire qui arrive au-dessus des genoux. Voilà, le costume est planté avec la jupe de la discorde. C’est une histoire somme toute banale : un ado en vacances craque sur une fringue qu’il ramène en souvenir. Sauf que quand le souvenir est un vêtement à orientation sexuelle caractérisée, ça risque de sentir le roussi…

(Vous saviez pas que les jupes c’est que pour les filles ???)

Un garçon qui porte une jupe ça fait tourner les têtes et les langues de vipères. Ça commence modérément par Maïa, la sœur de Robin (qui est accessoirement pionne dans le lycée de Robin). Se ramener en jupe au repas de famille dominical, ça fait tache.

Donc par un beau matin, Robin arrive au lycée en jupe. Du côté de Jade et Sélim ça ne fait pas trop de vagues. C’était sans compter sur Nolan. Ce dernier on ne met pas longtemps avec de l’identifier comme l’archétype du mec sûr de lui à mauvais escient, macho, intolérant et un maxi-brin pervers qui ne comprend pas le sens du mot « non » quand c’est une fille qui lui dit (oui en filigrane de l’affaire de la jupe, il y a l’affaire du mec qui embrasse une fille de force…Il a pas écouté « Quand c’est non c’est non » de Jeanne Cherhal…Tiens, encore une chanson qu’on devrait diffuser partout…à retrouver à la fin de cet article). Son nouveau sport national c’est d’envoyer piques sur sarcasmes pour distiller son poison verbal dans les esprits. Côté prof, on cherche l’apaisement des esprits. Côté élèves ça ricane, ça rembraye en crescendo à la suite de Nolan qui ne se sent plus d’avoir fait mouche. Au self le midi ça dérape.

Elles ont la dent dure les normes bienpensantes. Les railleries s’affirment, l’atmosphère se fait pesante, menaçante. Le coup frontal arrive par Maïa qui envoie l’ultimatum : c’est la jupe où exit la participation à la sortie de l’après-midi. Capitulation. Pendant que Robin se change, dans le bus la pression monte encore. Révolte, insulte, riposte, vengeance. Après les tensions relationnelles, un individu va souffrir dans sa chair. Sélim récolte le fruit de sa loyauté envers son pote et manque d’y passer.

C’est curieux : ce livre convoque dans ma mémoire un fait divers médiatisé en février 2019 : dans le Tarn un lycéen s’était fait rappeler à l’ordre parce qu’il se maquillait. Cela avait profondément choqué la mère d’une élève. Sauf que les élèves ont fait front contre les premières préconisations de la direction de l’établissement qui avait suggéré d’alléger le maquillage. Le lendemain, filles et garçons étaient arrivés maquillés au lycée…

Le fait de porter une jupe est-il synonyme de faiblesse ? Comment tordre le coup aux stéréotypes séculaires ? Quand on est une fille on doit s’habiller comme ceci. Quand on est un garçon on doit s’habiller comme cela. Le souvenir de mes années collège et lycée où je m’habillais de façon à ne surtout pas attirer les regards me revient de plein fouet. Et la peur que je ressentais alors : attirer les regards étant alors associé à « danger ». Se fondre dans la masse, ne pas attirer l’œil, trop risqué. Depuis j’ai grandi, vécu, découvert entre autres les bals folks, et les garçons qui dansent en jupe…ou qui dansent ensemble parce que juste ça leur fait plaisir, les filles également…sans spéculer sur une hypothétique homosexualité.

Bref, chapeau le Trio : il dégomme ce livre. Entre les questions du pouvoir des stéréotypes, l’importance du regard des autres, l’acceptation de la différence, le respect de l’autre et l’effet exponentiel du harcèlement, il y a de quoi faire chauffer la machine à cogiter.

Pourquoi penser comme ceci ou comme cela, marcher comme ceci, vivre comme cela. Et si on récupérait un peu de libre arbitre et de courage pour affirmer haut et fort « et alors » ?

A lire, jouer, diffuser le plus possible…

https://www.ladepeche.fr/amp/2019/02/20/albi-les-reseaux-sociaux-senflamment-pour-un-lyceen-maquille-faussement-menace-dexclusion,8027185.php

La toute petite voiture de Jeanne

Marie Tibi et Baptistine Mésange

Éditions de Plaines en Vallées

Les seules limites qu’on ait sont celles qu’on se met nous-même, tout seul comme des grands.

Grande Jeanne ne l’est pas. C’est une petite fille, qui rayonne de la fraîcheur de l’enfance. Elle exerce à merveille le pouvoir de l’imagination avec son jouet fétiche : une petite voiture rouge à laquelle il manque une roue.

Les aventures sont variées : sur la banquise, dans le désert de Gobi, dans l’espace étoilé ou en safari, il n’y a aucune limite. Même pas celle de la nuit puisque Jeanne dort avec sa petite voiture.

Jeanne apprécie d’avoir des invités pour partager ses histoires, c’est ainsi que son lapin ou sa petite sœur sont parfois du voyage. Même avec une roue en moins, la petite voiture peut aller loin. Même avec une jambe en moins, Jeanne sait qu’elle ira loin…

Je n’ai pas d’autre mot que « Douceur » pour parler de cet album. On est enveloppé de douceur et bienveillance avec Marie Tibi et Baptistine Mésange. Des images où le blanc est présent pour mieux laisser vivre les inspirations colorées de la fillette. Des mots simples, à hauteur d’enfant que nous recevons avec étonnement à la fin, surpris de n’avoir pas vu – ou d’avoir justement vu l’essentiel, peut-être ?

Car qu’est-ce qui différencie Jeanne des autres enfants ? Tant qu’on n’arrive pas à la fin de l’histoire, je répondrais « rien du tout ». La différence, qu’elle soit handicap visible comme une jambe absente, ou invisible, dépend des yeux qui la regardent. Ces yeux qui ont le pouvoir de stigmatiser ou d’accueillir, de juger ou de faire briller l’autre. Avec délicatesse cette histoire interroge notre regard sur les autres, et le regard qu’on porte sur soi.

Jeanne cueille la vie et croit en ses ailes. C’est avec confiance que j’ai envie de la suivre sur le chemin des possibles !

Pour rêver à partir de 3 ans

Sarayu

Deepika Arwind et Alan Mets

Le Cosmographe éditions

Et hop un petit saut en Inde ! Ami(e) lecteur/lectrice, ouvre tes yeux aux couleurs, tes narines aux odeurs de fleurs et d’épices, tes oreilles aux bruits de la rue. C’est un album sensoriel : on commence l’histoire avec des effluves de pain chaud.

Sarayu est brune, très gourmande et a très envie d’avoir un chien – ses parents en revanche en ont beaucoup moins envie. Sur le chemin de l’école, elle passe par le marché.

Sarayu retrouve son ami Venky au détour d’une rue. Alors qu’ils cheminent ensemble vers l’école, Sarayu aperçoit quelque-chose : un truc vivant non identifié. Venky est dubitatif. Il ne l’est pas très longtemps car en rentrant de l’école, il s’est passé quelque-chose au marché. Quelque-chose a mis la pagaille dans les étals : c’est la créature la responsable !

Comment aider la créature à échapper aux courroux des gens du marché ? Tout cela chiffonne Sarayu. Pour trouver une solution elle se lève très tôt mais ce n’est pas gagné car la créature a encore frappé sur le marché, et les gens sont très en colère.

Tels deux enquêteurs, Sarayu et Venky suivent les traces de la petite bête et quand ils la trouvent enfin, ils s’aperçoivent qu’elle est terrorisée…mais les gens de la fourrière sont déjà là et une course poursuite s’engage…en vain. La créature est attrapée, mise en cage. Cela pourrait se terminer ainsi mais Sarayu ne l’entend pas de cette oreille. Une petite mise en scène avec Venky et hop, libérée la créature !

Donc quant une autrice indienne rencontre un illustrateur français, cela donne une histoire taquine et sportive.  Alan Mets avec son trait espiègle donne vie et images à cette histoire. Les illustrations sont pleines de lumière. Les gens en colère font drôlement peur, surtout le type de la fourrière : celui-là je n’aurai pas du tout envie de le croiser en vrai ! Grâce aux mots de Deepika Arwind, on plongerait sans hésiter dans l’ambiance du marché à l’indienne. Merci au Cosmographe pour cet album dépaysant et détonnant de mouvement.

J’aime la générosité de Sarayu, Elle sauve l’animal différent, se dresse avec conviction contre les grands, et n’hésite pas à les rouler dans la farine pour atteindre son but. D’ailleurs en parlant de farine, il se pourrait que j’aie trouvé une recette de dosas que je me promets d’essayer très rapidement.

Affaire à suivre en cuisine !

A partir de 4 ans.

Le Phare à Voile

Mickaël El Fathi

Éditions la Palissade

Il était un phare immuable et son gardien dévoué à sa mission. L’histoire aurait pu rester ainsi.

C’était sans compter sur un poisson volant venu s’emmêler les nageoires dans la lumière du phare. Catastrophe pour le gardien : la lumière si essentielle pour guider les bateaux a plongé dans les eaux de l’océan accrochée au poisson volant. Un phare sans lumière : impossible. Il faut absolument la récupérer !

Un drap, une nappe et des rideaux en guise de voilure, le gardien devenu capitaine de phare s’élance à la poursuite de la lumière tout autour de la Terre. Quel voyage pour celui qui n’avait jamais quitté son rocher. Le poisson brillant lui fait faire le tour des océans. Il découvre d’autres horizons, de nouveaux gens.  Affrontant courageusement tempêtes et icebergs, le gardien n’aspire pourtant qu’à reprendre sa mission d’éclaireur depuis son rocher.

Un jour enfin il le retrouve. Il constate que les hommes ont érigé un nouveau phare qui éclaire efficacement les flots, sans nécessité d’un gardien. Soit. Que faire alors : trouver un nouveau rocher ? Recommencer ailleurs une vie consacrée à voir les autres passer ?  Plutôt que de se poser à nouveau dans l’immobilité, il ajuste sa voilure et en avant l’Aventure !

Qu’il y a-t-il de plus figé qu’un phare ? Alors un phare qui voyage, impensable ! Pourtant Mickaël El Fathi l’a fait. Et ce faisant, il tire un coup de chapeau à ces tours de pierres qui veillent sur les mers depuis la nuit des temps. Avec ses illustrations aux couleurs éclatantes, tantôt ensoleillées, tantôt explorant les nuances de l’océan, il nous convie à ressentir l’éblouissement et les cheveux dans le vent.

A la fin de l’album, vous découvrirez un petit clin d’œil à Cordouan et Ar-Men, gardiens des côtes françaises.

A partir de 4 ans

Éléphant a une question

Leen Van Den Berg et Kaatje Vermeire

Cotcotcot éditions

Il y a des livres qui me magnétisent : celui-ci en fait partie. Perdu au milieu d’un présentoir, cet éléphant et ses compagnons semblaient chuchoter : « viens nous rendre visite, tu ne le regretteras pas ». Fait et dit.

Donc Eléphant se pose une question existentielle : « comment sait-on quand on est amoureux ? ».

Heureusement pour lui, aujourd’hui c’est le jour de LA réunion annuelle. Cette année c’est Fourmi munie de ses lunettes qui préside en raison de l’absence de Monsieur Tortue.

Après quelques hésitations, il se lance. De Souris à Blanche-Neige en passant par les nuages, les étoiles, le pommier, le caillou et d’autres encore, les réponses se succèdent. Choc visuel ou variations thermiques, unions des contraires, délicatesse des gestes et mots doux offerts par-delà l’absence ou  dans une cour d’école, chacun y va de son petit grain.

En parlant de grain, Fourmi veille à ce que les échanges soient efficaces : pas de tergiversation ni de développement superflu. Eléphant semble avoir eu sa réponse, la réunion s’achève, chacun s’en retourne avec amour à ses occupations. Fourmi donne l’ultime coup de marteau, bienheureuse de pouvoir retourner enfin à ses priorités, toute seule mais surprise de se sentir un peu mélancolique.

L’amour se manifeste de bien des manières et c’est avec bienveillance que les réponses sont apportées. Les métaphores poétiques se déroulent, et les réponses des uns nourrissent celles des suivants. Après tout, chaque amour est unique et lié à ceux qui le partagent et l’entretiennent.

Les illustrations de Kaatje Vermeire, douces et foisonnantes de détails, sont un voyage où même après trente observations, je suis encore surprise. Les mots de Leen Van Den Berg sont une invitation à observer l’amour dans le quotidien des choses, pas seulement des humains.

C’est peu courant d’aborder cette question sous cet angle. L’Amour dépasse le vivant pour unir toute chose. Il se pourrait qu’on en découvre bien d’autres en gardant les yeux ouverts sur le monde autour de nous. C’est un livre apaisant, qu’on ait un amoureux ou non…

Pour petits et grands évidemment !