Korokoro

Émilie Vast

Éditions Autrement

Korokoro est un leporello, un livre accordéon comme je les aime : délicat, avec une histoire qui chemine, se déplie, où l’on avance, se met en boule, progresse et s’envole même !

Émilie Vast nous laisse y mettre les mots qu’on veut puisqu’elle a choisi de ne pas en mettre. Et hop, à nous de créer l’histoire :

-choisirons-nous un ton plutôt dramatique : Korokoro se cache, se protège, échappe à l’oiseau : ouuuf !

– choisirons-nous plutôt une histoire en randonnée : Korokoro rencontre des fourmis : hop il se met en boule ; Korokoro reprend sa marche, il rencontre un héron : hop il se met en boule ; Korokoro reprend sa marche, il rencontre un hibou : hop il se met en boule…etc

Nous suivons pas à pas un hérisson, semble-t-il… Où va-t-il ? Son chemin est ponctué de rencontres : fourmis travailleuses, poissons curieux, têtards frétillants, lapin interrogateur, hibou endormi, oiseau hardi et d’autres encore. A chaque rencontre, à chaque mise en boule, le hérisson voit ses piquants se parer d’éléments végétaux, tels des bijoux souvenirs bien utiles pour se camoufler. Il y a ce moment où le hérisson s’envole, attraper par un oiseau : tout de même il est bien léger ce hérisson pour être emmené si facilement… Est-ce que c’est vraiment un hérisson ?

La liberté des albums sans parole est quand même fabuleuse : le lecteur peut ajouter sa patte créative à celle initiée par l’auteure, devenant un peu auteur à son tour.

Notre petit héros, avec son déguisement va réussir à rejoindre son ami après un chemin ponctué de péripéties. Le camouflage a réussi : il s’avère qu’il était indispensable. Parfois il faut se cacher pour atteindre son but. Parfois il faut se la jouer discrète quand sa vie en dépend. A force de persévérance et prudence on y arrive…des fois (oh oh, ça me fait penser aux migrants tout ça…).

Notre petit ami progresse à quatre pattes. Il avance, il s’arrête, il avance à nouveau, il regarde autour de lui. Une autre image me vient : celle de l’apprentissage de la vie : on rampe avant de marcher, on accumule des choses qu’on laisse en route pour devenir soi et rejoindre l’autre.

Une petite recherche avant d’écrire cet article pour savoir ce qu’est « Korokoro » : j’ai trouvé une province au Mali et une forme de lutte africaine dansée…ah oui…?

Il y avait la chenille qui devient papillon, maintenant il y a le hérisson qui devient souris. Merci Émilie Vast pour cet accordéon nature, tout doux, et pour le jour où l’on considérera avec un œil attendri les bogues de châtaigne en se demandant qui est caché dessous.

Même Diabolo se demande ce qu’il y a là-dessous…

Prunelle de mes yeux

Elisabeth Brami et Karine Daisay

L’atelier du poisson soluble

C’est un livre qui peut déranger, heurter, bouleverser.

La couverture a attiré mon œil : je l’ai trouvée magnifique. Il n’y avait pas de résumé sur la quatrième de couverture, aussi pour en connaître le contenu j’ai dû…le lire.

Prunelle de mes yeux, c’est le récit d’un enfant. Au début c’est une tranche d’enfance insouciante, légère, heureuse, faite de jeux, de voiture à pédales, de sourires, d’amour incommensurable en barre. L’enfant raconte cette complicité absolue : les promenades dans la nature, les collections de coquilles d’escargots et le rire de sa maman qui lui dit tout le temps « tu es la prunelle de mes yeux ». Le bonheur absolu connaît un premier accro. Car Œdipe doit rester dans le champ du lointain : quand un monsieur occupe soudainement les pensées de maman, ça déplaît à l’enfant qui se sent mis au second plan. Grandir c’est dur : pourquoi faut-il que les choses changent ?

L’équilibre du bonheur est à nouveau bousculé quand le monsieur part et que le ventre de la mère commence à grossir. En prime il faut aller à l’école : que de séparations ! La femme réalise à ses dépends que l’amour est parfois aussi solide qu’une queue de lézard. Est-ce qu’on peut guérir d’un cœur brisé ? Il y a ce ventre qui grossit. Il y a la colère de l’enfant qui grossit. L’enfant ne comprend pas que l’amour exclusif de sa maman se soit enfui. L’enfant expérimente la frustration, la colère, la tristesse en un amas émotionnel destructeur.

Et puis il arrive ce nouveau bébé. Il faut partager maman : l’enfant ne veut pas, ni partager, ni de ce bébé. Comment faire pour que tout soit comme avant ? La jalousie l’étouffe. Il suffirait que le bébé meure, se dit l’enfant. Miracle (ou pas) son vœu est exaucé. Cependant, le calcul morbide n’a produit l’effet escompté et c’est pire qu’avant. Après le deuil périnatal, la jeune femme s’enfonce dans la dépression. Le cœur brisé ne tient plus qu’à un fil. L’enfant relate l’école manquée, le goûter oublié, sa maman fatiguée en permanence jusqu’à ce jour…

Comment annoncer à un enfant que sa mère est partie définitivement ?

Comment dire à un enfant l’indicible ?

Comment expliquer une vie qui bascule, le monde sans dessus dessous avec la disparition du seul parent ?

Je n’ai pas de réponse. Ce livre me bouleverse. Les hypothèses émergent et le déni de l’esprit face au sous-entendu trop lourd : mais, mais, mais quoi mais non ! La douleur a-t-elle trouvé sa délivrance sous un train ? d’une autre manière ?

Au fond que m’importe…le résultat est glaçant, terrifiant.

Lire le sentiment de culpabilité de l’enfant active une empathie bouleversante, douloureuse. L’enfant rêve à ce jour où sa maman reviendra. L’enfant espère le retour des jours heureux, l’enfant rêve d’être pardonné pour ses mauvaises pensées et le lecteur (MOI) a la gorge si serrée qu’il peut à peine respirer. Bonjour la catharsis ! Le déferlement émotionnel est incontournable. Comment imaginer que la vie puisse à ce point virer au cauchemar ? C’est un drame du quotidien dont on pourrait lire la description dans la rubrique « faits divers » d’un hebdomadaire. Après tout, le reste du monde n’aura pas sa vie bouleversée : seulement l’enfant et ses grands-parents.

Je vous avais prévenu : c’est un livre qui peut déranger. Pour autant je n’ai pas pu le lâcher. Pourtant je l’ai acheté. Les illustrations de Karine Daisay accompagnent subtilement le récit dans sa progression dramatique. Le tragique est paradoxalement magnifique. Je connaissais Elisabeth Brami sur un registre plus léger : force est de constater qu’elle assure dans le drame. En prenant le point de vue de l’enfant, sans pathos, elle laisse le lecteur suivre ces tranches de tragédie humaine.

La tragédie grecque n’a qu’à bien se tenir…

Cet album est un générateur d’émotions dans un grand écart éprouvant. La bascule inéluctable se produit sans que rien ne nous y prépare, par surprise pour le meilleur et pour le pire.On aime ou pas : j’ai fait mon choix.

Cerise Noire

Patricia Reznikov et Laurent Corvaisier

Thomas jeunesse et Amnesty International

C’est une histoire de gens d’ailleurs.

Cerise vit dans une roulotte avec sa famille. Entre ses parents, ses frères et sœurs et sa renarde, l’enfant témoigne de sa vie. A chaque saison son rythme sur le campement où cinq autres familles vivent. Pourquoi – comment sont-ils arrivés là ? Le déracinement est suggéré : la vie n’a pas toujours été ainsi pour les ascendants. Les enfants font des suppositions (pas très gaies il faut avouer) puis ils rêvent à les ailleurs lointains qu’ils verront un jour…quand ils seront grands.

La solidarité est le ciment de Cerise et sa famille. La seule ombre au tableau est la question des enfants : « Est-ce que c’est parce que nous sommes des étrangers que nous n’allons pas à l’école ? ». Cerise a conscience qu’il y a une différence cuisante entre ceux qui vivent en roulotte et ceux qui vivent en maison. Heureusement pour apprendre il y a Asia : sa roulotte est comme une école. La transmission est active, chantée, nécessaire. Être sédentaire n’est pas une fin en soi. Avec sa sagesse d’enfant, Cerise le dit : elle aime sa vie comme elle est.

Dans son campement les enfants jouent ensemble, rêvent à demain, imaginent de nouveaux chemins, construisent des cabanes. Le jour où Peter (le futur amoureux de Cerise) trouve un livre, s’ouvrent les horizons de l’imagination, et les enfants de plonger dans la jungle de Kipling à la rencontre des loups et de Mowgli. Avec eux ils ont joué, ils se sont racontés leurs vies.

Comme dans Gipsy (dont j’ai parlé il y a quelques jours : https://clarasurlalune.com/2020/05/19/gipsy/ ), je suis positivement touchée par cette ambiance où hommes et animaux vivent ensemble sans se poser de questions. L’animal sauvage a été recueilli, protégé, nourri et est devenu un membre de la famille. Kalinka la renarde accompagne Cerise tout au long du livre…Mowgli vit avec les loups…les barrières entre espèces n’ont plus cours devant tant de respect. La proximité avec la nature est réelle et terrain pour l’imaginaire. Pourquoi est-ce que tant d’hommes ont perdu cela de vue ?

La soif de connaissance est prégnante. Elle galvanise Cerise quand enfin les portes de l’école s’ouvrent. Les connaissances par l’instruction, c’est un ticket pour le futur, pour les projets, et pour l’intégration. Cerise rêve, anticipe ses nouveaux amis tout en profitant des joies du moment présent.

D’emblée Cerise n’a pas accès à l’école. Pourtant elle est une enfant comme les autres. En quoi sa non-différence implique qu’elle ne puisse pas y aller ?

Quand on lit ce livre en France, impossible d’échapper à la question de l’accès à l’éducation : qui n’y a pas droit ? Est-ce que je côtoie des gens qui n’ont pas été à l’école ?  Est-ce que près de moi il y a des enfants qui ne passent pas les portes de cette institution ? Cela ouvre la possibilité d’une discussion avec les plus jeunes sur ce droit qui pourtant n’est pas permis à tous les enfants de la planète.

Au-delà de la question de l’instruction, ce livre interroge sur les droits des enfants dans une dimension plus globale.

Qu’est-ce qui est important pour les enfants ? Avoir une famille protectrice, aimante, jouer, nourrir la soif de connaissance, avoir de quoi manger, cultiver des projets…du simple et de l’essentiel. Avec des mots simples, Patricia Reznikov sème des paroles de tolérance au nom de l’enfance, ce trésor d’innocence et d’espoir. Les illustrations vives et expressives de Laurent Corvaisier nous proposent de considérer avec plus de couleurs et de chaleur les vies différentes. Vous entendez les notes de l’accordéon et le crépitement du jeu de camp ?

Cet album m’a émue, touchée, fait cogiter. Il éclaire différemment une chance que j’ai eue : celle d’aller à l’école. Jamais je ne m’étais posée de question : c’était obligatoire, OK. Pourtant si j’en suis là aujourd’hui, avec mon métier et la possibilité de partager les livres que j’aime, si j’ai appris la tolérance, la non-peur de la différence, probablement que les années passées sur les bancs y sont pour quelque-chose…

Lili-Bouille la grenouille

Cécile Alix et Xavière Devos

L’élan vert

Ah la conquête de l’autre…ou je t’aime moi non plus !

C’est une histoire ouille ouille ouille (autant vous mettre dans le bain des rimes tout de suite).

Une grenouille fort débrouille essaye de se dépatouiller d’un crapaud andouille (dont l’estomac gargouille) qui s’imagine qu’il va pouvoir l’avaler, la croquer, la gober… Lili-Bouille n’est pas d’accord avec ce programme. La grenouille se métamorphose successivement en cornet à pistouille, en ballon sautouille, en algue à chatouille. Peine perdue, Soupalo le crapaud continue ses menaces : il va finir bredouille. Elle l’avait prévenue Lili-Bouille : si on la cherche, on la trouve.

Soupalo tout penaud s’excuse, après avoir eu une sacrée trouille !

La grenouille n’est pas rancunière, et c’est là son moindre atout. Finies les embrouilles : l’histoire se finit bien entre Soupalo et Lili-Bouille ! (paraît même qu’il y aurait un petit bis….chuuuuut !)

Elle rappelle curieusement la chanson des métamorphoses cette histoire : allez hop, petite digression en chant traditionnel comme je les aime 😉

Qu’est-ce qui a fait changer d’avis Soupalo ?

Peut-être qu’il avait déjà une idée qui trotouillait derrière la tête…? En bon crapaud pas malin il aura choisi une stratégie de séduction qui consiste à enquiquiner plutôt que de se dévoiler…c’était plutôt risqué !

Ou peut-être a-t-il été séduit par l’aplomb de la dame ? Car elle se défend, elle ne se laisse pas impressionner. Elle est sûre d’elle et elle l’ouvre, sa grande bouche de grenouille. Moralité, derrière une demoiselle délicate en apparence peut se cacher un caractère bien trempé.

C’est une histoire sautillante et délirante que nous livre Cécile Alix : un vrai délice à raconter à haute voix (gare à l’embrouille articulatoire !). Vous y ajoutez les illustrations charmantes et sautillantes de Xavière Devos et tadam : voici un conte qui bavouille à souhait. Qu’est-ce que ça me plaît !

J’espère que maintenant vous avez envie de jongler avec les rimes – de faire des jeux d’écriture – de créer des histoires délirantes, embrouillées, extravagantes…et comme Lili-Bouille : terriblement attachante !

Mon ombre

Anne-Claire Lévêque et Sandra Desmazières

L’initiale

Elle nous accompagne depuis toujours.

Elle accompagne toute chose.

Elle ne disparaît jamais complètement, même pas quand le soleil est au zénith.

Elle peut à sa guise grandir ou rétrécir. Elle se fait forme selon ce que les doigts dessinent. Ramper sur le sol ou s’étirer le long des murs : quelle aventure !

Immatérielle, elle ne connaît pas de limites, du moins le pense-t-elle car, raison gardée elle reste liée…aux pieds.  

L’enfant joue avec son ombre. L’ambiance est chaude, calme et propice à l’exploration de cette prolongation de nous. L’enfant peut devenir une géante, le chat devenir félin menaçant. L’air est léger en cette journée d’été. Merveilleux verts en camaïeu pour mieux laisser se glisser la lumière, la végétation luxuriante participe au jeu et devient terrain d’exploration. Comment résister à la quiétude qui se dégage des illustrations ?

L’enfant teste, expérimente, invente, crée, se dépasse (est-ce que ça vous rappelle des souvenirs ?).

Merci Anne-Claire Lévêque et Sandra Desmazières pour partager avec nous cette histoire toute en fraîcheur et amusement de l’enfance. Nul doute qu’après avoir plongé au pays de l’imagination avec cet album, d’aucun se surprendront à jouer avec leur ombre…on parie ?

Petit arbre Little Tree

Katsumi Komagata

One Stroke / Le Cosmographe

Il est des livres avec lesquels il faut prendre le temps, prendre un moment, se poser, ne pas être pressé, et regarder une fois, puis une deuxième, tourner autour, changer d’angle, et laisser son secret se révéler.

Petit arbre est un livre animé, un pop-up doux à caresser car pour Katsumi Komagata, le papier à lui seul raconte une histoire. Le livre est trilingue français-anglais-japonais : plus pratique pour être partagé avec le plus grande nombre !

Page après page, jour après jour, les mois et les saisons défilent et l’on suit la vie d’un petit arbre. La petite pousse au début quasi invisible croit lentement, sûrement, de la terre vers le ciel. Immobile, il voit passer la vie des animaux, des hommes qui se promènent ou qui ont de la peine, les nuages dans le ciel. Vivant, il suit sa propre évolution, sa croissance. Un jour le vert deviendra rouge, l’automne s’impose.

Ancrage, trait d’union entre la terre et le ciel, plus il devient grand et plus son horizon s’élargit, lui qui était si petit. C’était il y a longtemps…Le jour, puis la nuit et un jour c’est fini. Fini ? On s’étonne de son absence. On ne remarque pas encore la graine qui se fraye un chemin…

Qui y a-t-il de plus habituel qu’un arbre dans le paysage ? Si on prend le temps de réfléchir au cycle de sa vie, il se peut qu’on réalise que la vie d’un arbre est faite de courage. Les épreuves se succèdent : d’abord il faut grandir, laisser les oiseaux partir. Toutes les couleurs y passent. D’arbre ou d’humain la vie est la vie. Un jour la place est laissée pour une autre et tout recommence.

On peut y voir la vie d’un arbre. On peut y voir autre chose.

Je contemple un album d’art, subtile, léger, gracile comme la brise qui fait danser les feuilles. J’ai pris un grand plaisir à tourner les pages à l’extérieur : le jeu des ombres dans la lumière du soleil a dévoilé son autre dimension. Ouvrage étonnant, lumineux, porte sur l’instant présent.

La Nuit du prince grenouille

Annick Combier et Anne Romby

Milan jeunesse

Vous connaissez par cœur la Belle et la Bête ? Que diriez-vous d’en découvrir une variante…inspirée des légendes de Bali… ? Dépaysement garanti…

Le conte nous emmène sur une île à la rencontre d’un jeune prince. Aimé de son peuple, la vie est douce. Un matin, il part chasser. Quand les rayons du soleil éclatent dans l’aube, une libellule apparaît près de lui, belle comme jamais. Fasciné, le prince la suit jusqu’à quitter les rizières. Il s’enfonce dans la jungle jusqu’à arriver au pied du volcan, territoire sacré, interdit. Au moment de toucher enfin la libellule, le prince est puni de son audace : d’humain il devient grenouille. La colère du dieu se fait entendre et toute l’île tremble de voir le volcan se réveiller !

Finalement non. Tout redevient calme. Pourtant quelque-chose cloche : le prince a disparu. Les recherches resteront vaines et le temps passant, cette disparition deviendra légende.

Bien des années plus tard pourtant, il se passa une chose étrange. Une jeune danseuse venue déposer sur la rivière une offrande à la déesse des arts, lui posa la question qui préoccupe l’esprit des jeunes filles : « Rivière, belle rivière, en ce jour de fête donne-moi de découvrir le visage de celui qui sera mon prince… ». La réponse ne se fait point attendre. Dans le reflet de l’onde, le prince apparaît. Stupéfaite, la danseuse fait le lien entre la grenouille gracieuse qui l’observe sur la berge et le reflet dans l’eau. La légende était vraie. Dès lors, la jeune fille ne connaît plus le repos. Seul le tourment l’accompagne de ne pas savoir comment venir en aide au prince. Son entourage, inquiet, l’emmène prendre conseil auprès du vieux sage. Avec lui, elle trouvera les clés spirituelles et magiques qui la guideront jusqu’à son prince. Elle le délivrera, le volcan grondera encore une fois et pour fêter l’amour vainqueur, l’île dansera !

C’est un conte de mystères et de frissons que nous transmet Annick Combier. Le voyage dans la tradition balinaise est captivant, ensorcelant. La transe est initiée par les mots, guides bienveillants de l’imagination. Ainsi j’ai passé ma lecture dans les branches d’un banian, avec une brise tiède qui portait à mes oreilles le frémissement de la jungle et la musique du gamelan. Côté images c’est totalement, incroyablement magnifique. Anne Romby nous transporte dans la nuit mystérieuse, intrigante avec des illustrations d’une beauté renversante. Je contemple avec fascination les danseurs, leurs costumes et leurs mouvements gracieux : pour un peu je croirais voir les étoffes onduler !

L’histoire de l’humain transformé en animal nous envoie le message subliminal des apparences sur lesquelles il convient de ne pas s’arrêter. Preuve en est que la grenouille, pour toute insignifiante qu’elle soit à nos yeux, cache en réalité un prince. Et la modeste danseuse dispose d’une lucidité à toute épreuve : le courage peut prendre bien des formes : il n’est pas toujours besoin de cheval, d’épée et de chevalier.

J’aime quand un conte m’explique l’origine des choses : ici c’est une danse qui trouve son origine. La mythologie, omniprésente, nous rappelle que les hommes ne sont rien face aux colères divines. L’humain est petit et il porte l’espoir en lui. Avec cette nouvelle version de la Belle et la Bête, le caractère universel des contes est dévoilé. A chacun de suivre le chemin initiatique…ou pas !

La puissance des mots pour expliquer les maux trouve en moi un écho. Et vous qu’entendez-vous ?

La mémoire envolée

Dorothée Piatek et Marie Desbons

Gecko Jeunesse

Quand les mamies vieillissent, des fois tout se retrouve rangé à l’envers dans leur tête. Ça s’appelle Alzheimer. C’est un nom qui fait peur.

Si on prenait un petit moment pour regarder cette maladie avec des yeux d’enfant ?

Une fillette raconte le nouveau présent de sa grand-mère, avec des idées qui se mélangent, des réponses qui tombent à côté et des préoccupations saugrenues comme d’avoir des papillons dans les cheveux…La fillette pourrait s’en inquiéter ou être effrayée. Que nenni, le regard de l’enfant n’est que bienveillance devant les bizarreries de sa mamie.

Les souvenirs s’égrènent : la petite maison pleine d’amour, les parties de cache-cache, la douceur de grandir. Il y avait la mamie d’avant, il y a la mamie de maintenant. Sont-elles à ce point différentes ? Pour l’enfant, le temps passé ensemble ne fait que consolider l’affection semée il y a des années. Puisque sa grand-mère ne peut plus se souvenir, la petite fille gardera et chérira dans son esprit les moments partagés. A son tour de prendre soin, d’accompagner, de rassurer.

La maladie peut chambouler la vie. Dans le cas d’Alzheimer (ou des démences apparentées), le bouleversement s’accroche surtout à l’entourage, témoin de l’effacement progressif des gens aimés. On peut lutter contre et s’épuiser. Ou bien, à défaut d’accepter, on pourrait accueillir ce qui semble délirant et injuste pour le voir autrement : moins effrayant et presque amusant.  

Le présent n’effacera pas les chouettes moments d’avant. Avec une émouvante simplicité, Dorothée Piatek nous prend par la main pour aborder les étapes possibles du troisième âge : le deuil, quitter sa maison pour une institution, la perte d’autonomie, l’esprit qui s’évapore en fantaisie. Le programme n’est certes pas super réjouissant. Toutefois, avec cet album ce n’est pas déprimant. Avec rondeur, habileté et douceur, les illustrations de Marie Desbons sont réconfortantes comme un après-midi passé à regarder des vieilles photographies. Les couleurs sont caressantes comme le parfum d’antan de complicité de l’enfant et sa mamie.

Cette histoire en touchera plus d’un au cœur. Faute de pouvoir réparer les mémoires qui s’envolent, on peut toujours envoyer de l’amour : promis, ça ne s’oublie pas.

(merci Sophie pour ce cadeau d’il y a quelques années déjà, et clin d’oeil à ma Mémé Simone et sa mémoire cerf-volant)

Yusuke Yonezu

Chez Minedition, on trouve des petits albums à volets tout à fait plaisants comme…

Qui se cache là-dessous ?

Qui se cache là derrière ?

Les p’tits triangles

Connaissiez-vous les livres à volets de Yusuke Yonezu ? Avec des flaps par-ci, et d’autres par-là, on va jouer aux devinettes !

D’abord avec Qui se cache là-dessous : que va-t-on découvrir sous le pain…pas si simple…alors alors ? Et oui un caniche !

Et je parie que vous ne vous attendiez pas à ce qu’un morceau de fromage devienne une girafe !

Et là-dessous, à votre avis : que se cache-t-il ??? Ahhhh je vous laisse un peu cogiter…

On va corser un peu les choses avec Les p’tits triangles. On s’aperçevra que le triangle nourrit plusieurs concepts…et pour deviner à quoi correspondent les triangles, il est recommandé d’avoir l’esprit pointu. Le champ des possibles est vaste. Attention, le lancer d’hypothèses peut donner lieu à des débats passionnés.

Et pour celui-ci…qu’est-ce que vous en dites ?

Qui se cache là-dessous ?  ravira les amoureux des animaux. Patience, hypothèse et enfin la réponse tant attendue se dévoilera.

(réponse en bas)

Tous les éléments font partie du quotidien des petits, ils seront facilement identifiés. Pour en avoir fait à plusieurs reprises l’expérience, je peux vous dire que les enfants sont souvent plus fins que les adultes quand il s’agit de deviner ce que le flap cache.

Pour résister aux séances devinettes des petites mains des bambins, ces livres sont cartonnés. A regarder et regarder encore, pour parler, jouer,supposer et s’assurer de la permanence de la devinette : de beaux échanges en perspective !

Je vous en présente trois ici mais Minedition en a d’autres dans son catalogue…avis aux amateurs !

L’Estrange Malaventure de Mirella

Flore Vesco

L’école des loisirs

Médium +

Le joueur de flûte de Hamelin a intérêt à bien se tenir…et si c’était une joueuse ?

Mirella est porteuse d’eau. A Hamelin quand vous êtes orphelin, c’est double peine : vous devez rembourser votre pain en portant de l’eau pendant dix ans. Quand nous la rencontrons, Mirella a pour mission, en plus d’approvisionner en eau tout un quartier de la ville, de former Pan, un jeune garçon, à cette tâche. Il est petit, chétif mais rapidement, Mirella se prend d’affection pour lui et réciproquement.

Dans la hiérarchie sociale, bien que son rôle soit d’une importance considérable, Mirella est presque tout en bas. Même les mendiants sont au-dessus d’elle. Jour après jour, elle porte de l’eau aux habitants en essayant à tout prix de préserver son intégrité féminine. Être une jeune femme au Moyen-Age ne rime pas avec respect des hommes et contrôle de leurs pulsions .

En dehors de la ville, méprisés et isolés, il y a les lépreux. Ils terrifient la population et ne sont même plus considérés comme vivants. Toutefois ils auront une chance : celle de croiser la route de la porteuse d’eau. Pour Mirella, dès lors qu’on a une tête, des bras et qu’on a soif, on est humain. Cette empathie qui n’est pas du goût de tous pourrait bien révéler quelque utilité.

C’est une saison chaude qui accueille cette histoire. Qui dit chaleur à cette époque dit prolifération des rongeurs. Qui dit beaucoup de rats dit risque de maladie. Ce qui devait arriver arriva : une épidémie de peste se déclare dans la ville. La population se confine et la brigade de porteurs d’eau est chargée de contrôler qui est passé de vie à trépas. Pas de repos pour Mirella, qui s’interroge : qui est cet homme en noir qui semble contrôler les rats ? Et les questions affluent  :

Pourquoi Lottchen, l’alberguière harangue-t-elle Mirella sans répit ?

Que sait-elle sur sa naissance pour l’appeler « sorcière » ?

Comment se fait-il qu’elle, Mirella,  puisse inventer des chants quasiment instinctivement ?

Le temps des réponses arrivera. Les secrets seront révélés, l’homme en noir sera démasqué, la fourberie des hommes atteindra son apogée. Le sort des gens de Hamelin dépendra alors de Mirella : est-ce qu’elle les sauvera…ou pas ?

Ce roman faisait partie de ma sélection de vacances. Pour moi qui ne pars que rarement à l’étranger, cette année c’était la fête de partir une semaine au Maroc début Mars. Au début oui, ensuite…. Heureusement, ma première lecture a eu lieu alors que j’avais encore l’esprit léger. Et puis il y a eu l’épidémie Covid et sa soudaine ampleur, le confinement en France, la fermeture des frontières, les liaisons aériennes stoppées, le confinement aussi au Maroc, comme si de la peste au corona, il n’y avait qu’un pas. Dans ma vie, c’était la science-fiction qui devenait réalité. Cerise sur le gâteau : au Maroc l’eau est un enjeu capital car il y en a rarement trop. Le parallèle avec le roman était saisissant, déroutant, dérangeant.

L’estrange malaventure, c’est une histoire où il y a un confinement, la maladie, la peur, la mort.  Se pose la cruciale question de « comment limiter la contagion » de ce mal invisible, avec des soi-disant médecins, qui n’y connaissent rien. Il y a cette ville qui ne survie que grâce aux plus petits, alias les porteurs d’eau et le fossoyeur (et voilà, les petites gens qui font tourner le monde..ça rappelle quelque-chose..). Les ressources sont mises à mal, la famine guette. La fourberie des hommes deviendra tout à tour calomnie, collaboration, manipulation, trahison. Où se loge le vrai danger : chez l’homme en noir et sa brigade au museau pointu ? Chez les hommes versatiles, menteurs et égoïstes ? Chez les lépreux, exclus et humiliés ?  C’est que les crises sont de fabuleux révélateurs des travers humains. Quand on veut jouer au plus malin avec une épidémie, c’est un gros pari…Ce n’est pas l’individualisme, le goût du profit ou les préjugés qui sauveront la population. La solidarité, l’entraide, les ressources ne viendront pas des puissants.

Mirella : sacré petit bout de femme. Elle m’a donné de quoi réfléchir. En filigrane se dessine tout au long de l’histoire une problématique féministe : quid de la protection du corps avec ces hommes qui passent leur temps à guetter le moment où ils pourront s’introduire sous les jupons ? Est-ce qu’être une femme ça doit rimer avec faire attention tout le temps ? Elle n’a pas de bol Mirella : c’est un peu le capitaine Dreyfus d’Hamelin car elle cumule bien des handicaps : elle est une femme dans une société machiste au dernier degré, elle est orpheline, pauvre et elle est rousse. Bim bam badaboum ! C’est trop pas de bol.

Pour son malheur elle est dotée d’empathie. En cherchant à aider ses concitoyens elle a bien failli être le dindon d’Hamelin. Heureusement que le jeune Pan, les lépreux et quelque protection divine étaient là pour lui tendre la perche de la revanche. (Finalement c’est pas si mal l’empathie, du moins ça peut rendre service). Dindon une fois, certainement pas deux : elle n’est pas stupide Mirella aux illusions perdues. Quand il s’agit de jouer de la flûte pour repousser le mal ou pour faire danser les gens, vous pouvez lui faire confiance.

Il faut que je tire un grand coup de chapio à Flore Vesco pour le voyage littéraire dans lequel elle m’a embarquée. Parce que côté vocabulaire, il y a quelques brouettes de lexique à la sauce vieux françois pour épicer le voyage. Les vingt premières pages sont troublantes, et puis c’est comme une infusion. Ça diffuse, ça se dilue et ça imprègne le lecteur (et même ça déteint ! Par exemple, je me surprends à employer l’expression « à grands trottons » très souvent…ah euh bon 😊 ). Gare aux images mentales et sensorielles plus vraies et répugnantes que nature : je ne suis pas encore remise de la description du bourgmestre par exemple !

Vous l’aurez compris, ce roman m’a fait une forte impression. Je suis sortie de ma deuxième lecture avec une imprégnation olfactive, musicale et une terrible envie : celle de mettre ce bouquin entre les mains de mes amis et de leur dire « c’est l’heure de lire ». A défaut d’être injonctive, j’espère avec cet article avoir été un chouilla persuasive.

Comme il se dit au Maroc : Inch Allah !