Neigeline

Li Lamarre et Odile Santi

Editions Courtes et Longues

« Pourtant…que la montagne est belle » chantait Jean Ferrat.

Ouvrez grands vos yeux, inspirez profondément pour découvrir cette œuvre de Li Lamarre et Odile Santi. On suit à travers les pages le parcours de vie d’une boule de neige, Neigeline, depuis la cime de la montagne jusque dans la vallée, où elle est précipitée un jour de vent. Bourrasque bénéfique qui réalise son souhait de découvrir un ailleurs en couleur, la chute n’en est pas moins effrayante. C’est le soulagement quand elle atterrit enfin en bas.

Le nouvel environnement est propice à la découverte des animaux de la montagne. On ne voit pas de marmotte sur les cimes ! Peu à peu la nature réveille ses couleurs et le printemps prend le pas sur la blancheur de l’hiver. Quand Neigeline aperçoit le sommet d’où elle vient, elle comprend que plus rien ne sera comme avant. Pas d’amertume envers celle qui l’a protégée si longtemps, juste la conscience que les routes doivent se séparer pour avancer.

Les merveilleuses doubles pages paysages nous font pénétrer dans une montagne préservée, protégée, sereine. La marmotte succède aux animaux blancs, les crocus égayent les plaques de neige, l’hiver se retire doucement. Neigeline se sent différente. Elle aussi passe d’un état à l’autre. Bienveillance de la nature autour d’elle, elle assiste aux transformations : éclosion des fleurs, ballets des papillons, musique de l’eau qui est proche, si proche à mesure que le soleil darde ses rayons. Neigeline fond progressivement : une nouvelle aventure se dessine semble-t-il…une fin en début d’autre chose…

Cette histoire est un chemin de vie. La soif de découverte s’accompagne d’appréhension. Certes, avancer sur le chemin n’est pas exempt de peurs et d’interrogations. Qui vais-je rencontrer ? Où est-ce que je vais aller ? Lâcher la main du référent pour suivre ses envies est une grande étape.

Point de précipitation, Neigeline a profité de son « ici et maintenant ». On laisse des choses de côté, on en abandonne, on se transforme, on profite aux autres en leur laissant la place (comme des fleurettes par exemple).

La nature est superbement montrée. L’observation des illustrations réveille des envies de se poser pour observer le vol des petits insectes printaniers, ou le balancement délicat des pétales dans la brise. Si je tends l’oreille peut-être que je pourrais percevoir la respiration de la vallée, le bruissement des arbres, la musique du ruisseau dans la magie de l’instant présent.

Que cet album est doux et impressionnant de sérénité. Le cycle de la vie est magnifiquement suggéré (à chacun la liberté d’y percevoir ce qu’il souhaite). Qu’est-ce que je vais devenir ? Comment mes saisons se succéderont-elles ? Le parcours initiatique montre que la vie est faite de choix, mais pas que. La chenille devient papillon, la graine devient arbre ou fleur, la neige devient ruisseau, le petit d’homme deviendra « Je ».

A partir de trois ans et fortement recommandé pour les plus grands

Clafoutu, la sorcière la plus moche du monde

Christine Naumann-Villemin et Stéphane Henrich

Editions Kaléidoscope

Clafoutu est une sorcière qui travaille sec sa laideur. Elle y passe des heures pour être la plus dégoutante, crasseuse, écœurante chose sur Terre. C’est une esthéticienne de la mocheté et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle excelle dans son domaine.

Pour être sûre et certaine qu’elle seule est bien la plus laiiiiiiide sur terre, (ça ne vous rappelle pas quelqu’un ce refrain ?) elle questionne tous les jours son vieux chaudron magique.

Pas fou, l’accessoire lui répond la même chose à chaque fois. Mais (oui y a un mais), un beau jour Clafoutu casse son chaudron adoré. Bon ben ça c’est fait, y a plus qu’à en racheter un. Et vous ne devinerez jamais quoi : il est connecté ! (c’est par parce que c’est une histoire de sorcière qu’elle doit échapper à la modernité, non mais). Modernité à double tranchant : le chaudron a accès à des informations qui jusque ici passaient loin de notre sorcière. Quand elle lui pose la fameuse question, elle ne reçoit pas la réponse tant attendue. Il y a plus moche qu’elle : le nasique ! Voulant absolument voir la bobine de son rival mais étant plus douée en décoction qu’en sort, cela lui prend un peu de temps (qu’elle ne consacre pas à sa laideur). Enfin le nasique apparaît puis est directement banni sur une île très loin.

Le lendemain c’est un autre animal qui subit le même traitement, puis un troisième le surlendemain. Toutes ces journées à se débarrasser de ces affreuses créatures, Clafoutu en oublie de s’entretenir (ben alors Sorcière, tu perds de vue tes priorités là).

Vient le jour du crapaud buffle : ce dernier à l’audace de squatter sous son nez, dans son propre jardin. C’est au naturel que Clafoutu s’apprête à lui faire sa fête. Pas de bol, le crapaud est loquace et serait un prince charmant. Pour s’en débarrasser, il faut l’embrasser. Le prince est libéré (délivréééé) et il invite Clafoutu a une soirée…!(Quoi ??? Depuis quand les princes kiffent les sorcières ???). Les princes ne sont pas toujours comme on croit !

Un conte qui tord le cou à la beauté : j’adore !!!

 Là on est dans l’anti-cliché. Mieux vaut ne pas avoir peur de tous les petits travers du corps humain nommés poils, points noirs et ongles crasseux ou autres trucs plus ou moins dégueux. Merci Christine Naumann-Villemin et Stéphane Henrich pour cette tranche de naturel délicieuse comme un munster trop affiné ! Les bonnes manières sont laissées au vestiaire. Un peu d’humanité très biologico-basique dans l’histoire c’est poilant (blague facile je sais).

Elle ne souffrirait pas d’isolement notre Clafoutu ? Parce qu’elle n’hésite pas très longtemps avant d’accepter l’indécente proposition du prince. Il y a peut-être une vie loin du chaudron ? Après tout qui a dit que les sorcières sont obligées de rester seules jusqu’à la fin de leur vie. Clafoutu avait des journées très sans surprise : toujours se faire laide, interroger le chaudron, et ainsi de suite tous les jours. Quand la vie est réglée comme du papier à musique, on ne se rend même plus compte qu’on s’ennuie. Alors on devient obsessionnelle et solitaire. Être la plus laide sur Terre : la belle affaire. Quel intérêt de se faire laide si c’est juste pour le chat et le chaudron ?

Quand on se trouve laid, c’est rassurant de penser qu’il y aura toujours plus laid que soi. S’accepter tel qu’on est, vaste programme. De nos jours c’est « toujours plus belle » avec des exigences toujours plus importantes. Sommes-nous obligés de suivre ces prérogatives sociétales ?

Culte de l’apparence quand tu nous tiens, ça fait du bien quand tu vas voir plus loin !

A partir de 5 ans

Par le bout du nez

Loes Riphagen

Éditions Didier Jeunesse

Pourquoi les éléphants ont une trompe ? Si vous vous posiez la question, c’est dans ce drôlissime livre en découpes que vous trouverez la réponse. (une ressemblance avec une histoire de Rudyard Kipling serait fort possible)…

A une époque fort lointaine donc, les éléphants n’avaient pas de trompe. A travers une forêt tropicale de papier, on suit un éléphant bleu qui se promène dans la jungle. Quand il croise un animal, il le questionne sur une de ses caractéristiques. Ainsi il demande à taupe comment elle fait pour respirer sur terre, si chameau n’aurait pas deux bosses sur le dos pour « faire le beau ».

A chaque page il y a une multitude de détails à observer dans les ombres. Il y en a du monde ! La prudence et la discrétion s’imposent quand on vit dans la forêt. Pourtant ça ne semble pas préoccuper Eléphant qui se retrouve nez à nez avec une créature verte à écailles qui a plein de dents et qui fait peur à tous le monde (y a qu’à voir la tête des animaux qui se cachent dans l’arrière-plan). Pas méfiant pour deux sous, il ne trouve rien de plus malin que de lui demander « c’est quoi ton plat préféré ? ».

Futé le croco l’attire et lui attrape le nez !

Un éléphant : belle prise pour le repas…ou pas !  

Branle-bas le combat, toute la forêt porte secours à l’éléphant. Crocodile est bien accroché et n’a pas l’intention de lâcher, même s’il s’en prend de tous les côtés !

Quelle bataille, quelle pagaille. Pour l’occasion, tout le monde est colorisé !

Tout assommé et partiellement déchiré, le croco finit par lâcher le nez, euh le grand nez, (le cap, la péninsule), le très grand nez d’éléphant ! Tadam, la trompe est arrivée. Si pendant les premiers instants Éléphant est circonspect, il se pourrait qu’il y trouve quelques avantages…et Crocodile aussi !

J’ai une sympathie pour les histoires qui expliquent le pourquoi du comment certaines choses sont comme elles sont. Avec ce très chouette livre objet, l’histoire coule avec une sympathique loufoquerie. Une première partie en découpes, puis le point culminant avec la double page à déplier ou la couleur contracte avec l’ambiance en noir et blanc. L’ensemble est pétillant, dynamique avec un épilogue insolite : comme quoi, un mauvais tour peut finalement déboucher sur du positif.

Merci Loes Riphagen et Didier Jeunesse pour cette explication sur l’origine de la trompe de l’éléphant. D’ailleurs vous n’auriez pas une explication pour la girafe et son grand cou ?

A partir de trois ans et tant qu’on a une âme d’enfant !

Même pas peur !

Qu’est-ce qu’un fleuve ?

Monika Vaicenaviciené

Éditions Cambourakis

De loin il ne payait pas de mine cet album. Je l’ai déniché en bas d’un présentoir au salon du livre de Troyes en Octobre dernier. J’ai été attiré par la couverture (fascination avec l’effet broderie qui ondule sur l’eau), puis je l’ai photographié (pour plus tard), et finalement je n’avais pas fait trois mètres que je faisais demi-tour pour le mettre dans ma besace. Vraisemblablement les libraires et bibliothécaires Sorcières ne s’y sont pas trompées non plus car il figure dans leur sélection « catégorie CARRÉMENT SORCIÈRES NON FICTION ». D’ailleurs comment vous expliquer cet ouvrage ?

Un album qui parle des fleuves, soit : qu’a-t-il de plus que d’autres livres qui traiteraient du même thème ? A mon sens c’est bien plus qu’un simple documentaire. On est ici dans un album documentaire géographico-écologico-historico-spirituel qui fait la part belle aux illustrations. Page après page, Monika Vaicenaviciené nous montre que réduire le fleuve à la simple définition de « cours d’eau qui se jette dans la mer » serait par trop réductrice. Non, un fleuve c’est d’abord un fil, puis un voyage, une maison. Plus qu’un lieu de vie, il est à l’origine de bien des vies tant d’un point de vue biologique que symbolique.

Ce livre commence par un dialogue entre une grand-mère et sa petite fille. L’enfant demande à la vieille dame « Grand-Mère qu’est-ce qu’un fleuve ? ». L’enfant questionne son aïeule qui commence sa réponse inspirée par : « un fleuve c’est un fil »…

Symbolique : ce terme est transverse pour absolument toutes les pages. Il n’y a pas un seul aspect qui soit traité exclusivement sous un angle cartésien. Les évènements symboliques, comme le baptême ou la purification (vous voyez à quels fleuves le clin d’œil est fait ?) sont présents. Car un fleuve ça peut-être un lieu social, spirituel, d’initiation, de conquête…Si des étapes de vie s’y sont produites, le fleuve devient un écrin à souvenirs.

N’avez-vous jamais trouvé quelques fossiles sur les berges d’une rivière très éloignée de la mer ?

Peut-être avez-vous contemplé dans un musée des collections d’amphores naufragées (ils aimaient le bon vin les romains, heureusement que toutes les galères ne faisaient pas nauffrage !) ?

Quels secrets les fleuves abritent-ils encore…?

L’eau a toujours attiré les hommes. Le fleuve est devenu un lieu de réunion, de construction, de commerce, de réflexion. Comme on ne peut vivre sans eau, on s’en est rapproché : les berges du fleuve sont devenues résidences. Des fois le fleuve est source d’énergie : des barrages érigés fournissent la fée électricité.

Le fleuve est propice aux histoires, contes et autres légendes. Parce qu’il est tantôt effrayant, tantôt bienveillant, il nourrit l’imaginaire. Il aura le dernier mot tragique de la mésaventure ou procurera l’apaisement au héros tourmenté. Ah moins qu’il n’accueille dans les ombres de ses méandres quelque créature fantastique ?

Les sens y trouveront aussi leur compte : ouvrez vos écoutilles olfactives et dites-moi : « que sentez-vous » ? Quelles odeurs accompagnent les abords du fleuve ? Sont-elles les mêmes à chaque saison ? Après la pluie ? Quand il y a du vent ?

Miroir de l’activité humaine, un fleuve respecté reflètera les bons soins dont il est l’objet. A l’inverse celui qui écope de déversements polluants renverra un reflet huileux, poisseux, visqueux, fangeux. Que nous redonnera-t-il si nous ne le respectons pas ? Qu’est-ce que l’homme sera en mesure de recevoir s’il ne prend pas soin de ce professeur ? Car il se fait enseignant, à ses heures. Lieu d’études, de recherches, il a tant à apprendre.

Minute philosophie ! Héraclite est connu pour cette citation « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (ok vous avez quatre heures !). Dans ma vie de tous les jours c’est une phrase qui m’accompagne comme un mantra. Le fleuve (et ses cousins les cours d’eau) est le lit du mouvement perpétuel. On prend conscience auprès de lui que tel le tic-tac du temps, rien ne reste en l’état, tout bouge et coule en permanence. Parfois les pensées sont sereines, parfois elles sont tortueuses, ou boueuses ou très claires. L’esprit de l’homme est semblable à la rivière…

En reliant au fil de l’eau toutes ces images, on parvient à entrevoir une partie de la mosaïque incroyable que sont ces témoins liquides de l’histoire du monde.  Vous l’aurez compris, ce livre a été, est et restera un très gros coup de cœur, qui se justifie par la diversité des réponses à la question qui fait le titre. Tout en synthétisant certains éléments très concréto-scientifiques, il est délicieux de patauger, plonger, s’immerger dans le fleuve témoin d’hier et de demain.

A partager à partir de six ans sans limite d’âge.

Quelques battements d’ailes

Mickaël El Fathi et Pierre Pratt

Éditions Motus

Qu’est-ce que c’est le « temps » ?

A notre échelle d’humain il peut être rythmé par les secondes, minutes, heures, journée, année, décennies. On peut aussi se dire que le temps, c’est un grand soleil, un jour de gel ou de grand vent, une pluie battante ou une légère bruine. Le temps peut être bien des choses. Aux yeux d’une montagne comment définir le temps ?

Le temps qui passe revêt une autre définition, une autre dimension : une vie d’homme passera à la vitesse de l’éclair et une limace se déplacera rapidement. Dame Montagne contemple le temps qui passe depuis toujours. Elle a vu la fonte des glaces, les premiers hommes qui succèdent aux mammouths, les premières huttes puis les maisons, d’abord les villages, la ville… C’est ainsi quand on compte plusieurs millions de bougies. Témoin immuable et silencieux de l’évolution, elle sait que son destin sera de rapetisser.

 Dans sa sage immobilité Dame Montagne attend pourtant le jour où devenue grain de sable, elle pourra voyager accrochée à la patte d’un oiseau. La montagne a un rêve, cela vous étonne ? Une vie passée à regarder les choses arriver puis repartir, elle a appris que seule une petite taille permet le déplacement.

Vie d’homme contre vie de montagne. Année contre histoire de l’univers. Difficile de comparer si ce n’est en changeant la perspective. Pour nous humains, qu’est-ce qui passe lentement ? La guérison après avoir été malade – la consolidation de la jambe cassée – la pousse des cheveux – sortir d’un bouchon au retour des vacances – l’attente avant un rendez-vous galant ? Dans l’autre sens que trouve-t-on ? Des vacances dont on a rêvé – un bon film – une discussion intéressante – un fou rire ? Dame Montagne, elle, a à peine le temps de sentir la promenade d’un animal quand nous trouvons la promenade un peu trop longue pour nos pieds (paradoxe des perceptions !)

Le temps dépend du point de vue depuis lequel on le contemple. Mickaël El Fathi pose avec simplicité les grandes étapes des âges de la Terre. Subtilement, Pierre Pratt avec ses touches colorées et expressives nous montre comment les êtres vivants échangent avec cette montagne toujours subtilement changeante. Double histoire, double temporalité. La présence de l’homme, éparse au départ se conforte, se développe et influence le paysage de la vallée. La question du temps est posée. Cet album ouvre une fenêtre sur l’histoire de notre planète et sur la nôtre.

Avec la montagne on s’interroge sur le lieu présent : comment était-ce avant ? Comment se déroulera la suite de l’histoire ? Pour la montagne, l’auteur nous a glissé une petite idée : qu’en sera-t-il pour les hommes ? Histoire à suivre…

Un album à contempler, pour discuter, s’interroger, philosopher à partir de 6 ans.

Les dragons ça n’existe pas

Jack Kent

Éditions Mijade

Youpi une histoire de dragon ! (J’adore les dragons)

Un matin, il y a un dragon dans la chambre de Benoît Brindherbe. C’est un dragon de la taille d’un chat qui remue la queue pour montrer qu’il est content quand on lui caresse la tête. Quand Benoît prévient sa mère de la présence d’un dragon dans sa chambre, celle-ci prononce cette phrase incontestable « Les dragons ça n’existe pas ».

A partir de là, il n’y a plus rien à dire ni à considérer. Bien que le dragon soit toujours là, Benoît décide de ne plus s’en occuper, puisqu’il n’existe pas. Même s’il remarque que le dragon a peu grandi, et qu’il fait des choses interdites (comme s’asseoir sur la table de la cuisine ou manger toutes les crêpes), il ne dit rien. D’ailleurs sa mère ne dit rien non plus.

Les crêpes ça fait grandir les dragons vitesse grand V : à la fin du petit déjeuner le dragon est aussi grand que Madame Brindherbe. Il s’installe dans l’entrée pour faire une grande sieste. Il est devenu tellement grand que ça devient compliqué de circuler d’une pièce à l’autre sans passer par les fenêtres. Quand Benoît exprime son étonnement quant à la rapidité de croissance des dragons, ça mère lui cloue le bec en assenant à nouveau : « Les dragons ça n’existe pas ». Que répondre à ça ?

Quelques heures plus tard, le dragon déborde de la maison et quand il se réveille de sa sieste, il a un petit creux. Tant mieux, le boulanger au volant de sa camionnette passe justement sous son nez. Ni une ni deux, le dragon la suit emportant la maison sur son dos. Monsieur Brindherbe, qui rentrait pour déjeuner, eut la surprise de retrouver sa maison, sa femme et son enfant et le dragon à distance de là où elle aurait dû être.

Quand il demande des explications, Benoît lui répond que « c’est le dragon », et d’insister quand sa mère s’apprête à nouveau à nier l’existence du dragon. Cette fois plutôt que de faire comme s’il n’existait pas, Benoît considéra le dragon, puis admit que malgré les certitudes de sa mère, il était bien là. Geste suprême, il valida cette reconnaissance par une caresse au dragon. Tout finira bien, il se pourrait même que le dragon ait trouvé une famille.

Quand on a un truc sous le nez et qu’on persiste à l’ignorer, comment appelle-t-on cela ? De l’obstination, de la détermination ou du déni ? Cela pose question, que les choses doivent devenir gigantesquement dérangeantes pour qu’elles soient enfin reconnues. La maman de Benoît met du temps avant de relâcher sa certitude. Elle fait peu de cas des paroles de son fils. On lui a sans doute appris à penser que les dragons n’existent pas. Pourtant devant l’évidence, elle finit par revenir sur sa position.

Faire le parallèle avec les émotions me semble intéressant. Quand on a décidé de sciemment nier une situation désagréable et que les conséquences prennent une ampleur déroutante, cela ressemble drôlement à notre dragon. Plus simplement à hauteur d’enfant, une peur ou une colère peuvent devenir très grandes voire obsédantes si l’entourage proche n’y prête pas attention. Un enfant qui cherche un regard, un peu de temps ou d’attention, que se passera-t-il s’il n’en obtient pas ? Mon petit doigt me dit que ça va générer des étincelles. En prime il y a de fortes chances pour que ces dernières ricochent sur les parents. (Ça vous rappelle des souvenirs ?)

On a tous besoin d’attention et de reconnaissance. Point n’est besoin de trop en faire. Il n’est pas question de dire « il y a un grand dragon » quand en fait il a la taille d’un chat. Reconnaître les choses, à leur juste mesure, pour soi et pour les autres ça redonne une taille acceptable à ces fameuses choses, et ça rend d’autant plus précieux les petits dragons.

A partir de trois ans.

L’Ours transparent

Cécile Metzger

Obriart éditions

Cécile Metzger nous raconte qu’il était une fois un Ours triste comme la pluie. En plus il est transparent dans un endroit gris où personne d’autre ne vit. (Si c’est pas le top de la déprime…). Certains jours il est tellement morose qu’il arrive même à se créer un petit nuage de pluie qui pleuviote au-dessus de lui. La vie était ainsi et l’Ours habitué au gris et à sa transparence ne se doutait pas que sa vie pouvait changer.

Un jour il se fit chatouiller le nez par…des libellules roses ! D’où peuvent-elles bien venir ? C’est Madame Odette qui les a amenées avec elle. Madame Odette vient de s’installer juste à côté de chez l’ours transparent et triste comme la pluie. Elle a amené avec elle des couleurs, des pots de fleurs, de la musique, un chat et une belle dose de gaieté.

La gaieté ça ne connaît pas les limites de propriété. Celle de Madame Odette se faufilait jusque chez l’Ours qui ne goûtait pas trop qu’on perturbe ses habitudes. Quand on est habitué à la solitude, pas évident de gérer la joie de vivre de la voisine. Pourtant un jour l’Ours est perturbé car il entend Madame Odette pleurer, se lamenter, se désoler parce que ses fleurs adorées ont séché… (le soleil des fois ce n’est pas très gentil et la pluie, ce n’est pas toujours triste).

Tout chose, l’Ours sent la pluie monter en lui et quand le nuage est bien chargé, il sort de chez lui pour arroser les fleurs assoiffées. L’Ours transparent se découvre bienveillant.

Gaiement il partagea un temps son coin avec Madame Odette, jusqu’à ce qu’elle s’envole définitivement avec ses libellules (mais sans son chat : normal les chats ne volent pas). Avant de partir, elle laisse un cadeau à son ami l’Ours : quelques pétales et quelques battements d’ailes rosées.

Des fois quand la vie est grise, on a l’impression que c’est comme ça et toute la vie s’organise de manière terne. La solitude est une fausse amie : l’Ours était tellement renfermé sur lui-même qu’il ne se rendait même plus compte que la vie pouvait se vivre autrement. Pire, quand un peu de nouveauté est arrivée, loin de s’en réjouir il l’a accueillie comme une perturbation de sa routine. C’est seulement quand le gris a commencé à envahir Madame Odette qu’il a fait un pas de côté par rapport à son morne chemin. En se dévoilant, il a quitté sa transparence et son isolement.

Oser parfois c’est compliqué. La sacro-sainte zone de confort tolère peu facilement le changement. On constate les résistances de l’Ours. Personnellement avec cette histoire, je ne peux m’empêcher d’y croiser certaines des miennes. Est-ce que se montrer tel qu’on est à quelqu’un en vaut la peine ? Aller vers l’autre, peut-être que c’est aussi aller vers soi…

« Oui mais si en plus ça finit de manière tragique, est-ce que ça en vaut vraiment la chandelle ? ». Certes Madame Odette monte au ciel : quelle poésie dans cette fin de vie. Suivre le chemin des libellules, ça rend son départ plus léger pour le lecteur. Pour autant parce qu’elle n’est plus là faut-il reprendre la même vie qu’avant ? Peut-être que non. L’amitié réelle transcende l’absence semble-t-il, surtout si on reçoit de quoi cultiver le souvenir de l’amitié (sacrée Odette).

Sobriété des mots pour laisser la part belle aux images. Les couleurs gagnent progressivement sur le gris, joie éclatante du rose dans un jardin en été. Merci Cécile Metzger et Obriart éditions pour ce merveilleux album qui éloigne les idées grises et qui donne envie de marcher pieds-nus dans un jardin fleuri.

Pour savourer le soleil et la pluie à tout âge.

La souris qui voulait faire une omelette

Davide Cali et Maria Dek

Hélium éditions

Qu’est-ce qu’on fait quand on veut préparer une omelette mais qu’on ne dispose pas de l’ingrédient principal à savoir un œuf ? On va chez son voisin pour lui demander s’il n’en aurait pas un à donner. Voilà Souris qui se rend chez Merle. Quand Merle répond qu’il n’a pas d’œuf mais de la farine, le projet passe d’omelette à gâteau.

Toutefois force est de constater que se procurer un œuf n’est pas chose aisée. De voisin en voisin, Souris et Merle découvre que leur projet de gâteau intéresse les animaux sollicités. Personne ne semble avoir d’œuf mais chacun ajoute sa contribution sous forme de beurre, sucre, pommes, cannelle etc… Nous voilà dans un conte randonnée qui donne envie de sortir un saladier pour se préparer un gâteau au même rythme que nos nouveaux amis.

Chaque fournisseur d’ingrédient met la main à la pâte et vient le moment où il faut se mettre en quête d’un four ! Oh ça tombe bien : il paraît qu’Hibou en a un. Voilà tous les voisins qui montent chez Hibou, lequel est ravi de prêter son four pour un projet si gourmand. Une fois cuit, vint le moment de le couper ce gâteau. Oui mais…en combien de part ? Une part par contributeur s’avèrerait le plus cohérent. Si on fait les comptes de manière pragmatique, cela exclut Souris. Ben quoi, elle voulait un œuf mais elle n’a en rien participé concrètement comme le fait si justement remarqué Loir. Et toc, le gâteau devrait être pour tous les autres sauf pour elle.  

Ne trouvant rien à redire à cet implacable argument, Souris s’en va larmes aux yeux…quand Merle réfléchissant tout haut reconnaît que sans Souris, il n’aurait pas donné la farine, idem pour Taupe avec le sucre, ou Hérisson avec les pommes. Et tous de reconnaître que sans Souris, il n’y aurait pas eu de gâteau : cela mérite une part sans aucun doute…

J’aime beaucoup les contes-randonnées. Un nouvel élément vient compléter les précédents et tout s’accumule jusqu’à la chute, ici la question du partage.  Davide Cali nous a concocté un texte simple où comme pour les ingrédients dans une recette, les éléments se succèdent, s’ajoutent, se mélangent pour mitonner une histoire qui sent bon les arbres et la cannelle. Côté illustrations, Maria Dek nous offre des images fraîches comme une promenade en forêt suivie d’un bon goûter.

Est-ce que le partage doit se concevoir comme une mise en terme à terme ? Tout dépend de notre conception de la participation. Ici le partage s’annonçait juste alors qu’en réalité, il excluait cruellement celle par qui tout a commencé. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance ? Une dose d’empathie sans doute : Souris avait été de toutes les étapes. Pourquoi la priver au dernier moment ? Et puis il y a du mérite à avoir initié un projet devenu collectif. Cela accorde une valeur aux idées.

Souris voulait faire une omelette toute seule. De son idée est née une belle occasion de rassembler les voisins. Chacun était seul chez soi avec son ingrédient et tous ont opté pour la mise à disposition de ce qu’il possédait. Parce que les choses sont meilleures quand on les partage semble-t-il…

A savourer à partir de 3 ans

La récup’ des rêves oubliés

Hélène Gloria et Manuela Dupont

La marmite à mots éditions jeunesse

Vous ne connaissez pas la caralotte bigarrée de Margaux ? Vous pourrez la voir après la ville, les usines et le canal pollué. Elle se tient à l’abri d’un bosquet, sans porte, sans volet, là où la nature peut encore fleurir et où le vert l’emporte sur le gris. Manuela Dupont nous embarque dans une bicoque roulante étonnante où la magie se trouve dans les petites choses et petits trucs posés, scotchés et peinturlurés.

Et vous ne connaissez pas Margaux la réparatrice de rêves ? Dans cet album concocté par les mots d’Hélène Gloria, on pénètre dans un lieu joyeusement coloré et parsemé de vrac et bric à brac. Ici les choses ne sont pas intactes et c’est justement pour ça que Margaux les a récupérées. Sa spécialité : les rêves oubliés !

Elle a roulé sa bosse Margaux avec sa caralotte. Elle a vu plein d’endroits, plein de gens et à chaque fois le même constat : en grandissant les gens ont oublié leurs rêves. Parfois consciemment ou inversement, les rêves ont été refoulés, repoussés, éloignés, brisés.

Un rêve abandonné c’est malheureux. Margaux officie avec les rêves comme un médecin-nourrice : quelques soins, de la confiance, remettre un peu de couleur par-ci ou des plumes par-là et hop ! Raccommodés avec délicatesse, les rêves se voient offrir un nouvel avenir.

A qui les confier ? Aux grands qui les avaient déjà repoussés une première fois ? On ne fait pas deux fois le même rêve, ça ne marche pas comme cela. Devant cette déconvenue, Margaux reprend ses pinceaux pour rendre les rêves encore plus beaux. Les destinataires seront les enfants. Pas n’importe quels enfants : ceux que la vie a malmenés, ceux qui n’ont jamais pu rêver. Progressivement elle fait éclore l’enchantement dans les yeux des enfants qui n’y tenant plus, se saisissent de leur rêve pour de bon.

Mission accomplie, il n’y a plus qu’à poursuivre se dit Margaux. Jusqu’au jour où elle rencontre ce beau marin distributeur de rêves. Cœurs qui s’ouvrent sous la pleine lune, bien vite refermés : l’océan est possessif…Cœur brisé. Le temps semble s’être figé dans la caralotte, comme au Bois Dormant. Qui viendra réveiller Margaux ?

Grâce aux enfants, Margaux va raviver son rêve et ses pinceaux. De ce fait, son cœur trop gros le devient un peu moins. Un jour dans l’air flotte le parfum du marin…

A quoi rêvait-on quand on était enfant ? Combien de rêves avons-nous accomplis ? Combien en avons-nous laissé de côté ? Dans une société où le pragmatisme l’emporte sur la rêverie, il pourrait être facile de se laisser glisser sur la pente de l’oubli et rentrer dans un moule. Rêver se fait résistance, devient un acte militant : Nous voulons des rêves !

Laissez-moi rêver…

Laissez-moi décider de ce qui me fait vibrer…

Laisser-moi continuer au-delà de l’enfance pour réjouir les couleurs de ma vie…

Et puis il semblerait que rêver soit contagieux : tant mieux. Rêvons pour deux, pour trois, partageons, offrons. Plus il y a de rêves, plus il y a d’envies, de projets. Un rêve partagé avec d’autres, ce sont des occasions de se rencontrer, et peut-être de créer.

Parfois on peut perdre de vue son rêve, comme Margaux. Parfois on peut poursuivre un mauvais rêve, comme le marin. Dans les deux cas, la vie se charge de réajuster les projets, de faire évoluer les rêves, ou de les refaire sonner si on les a oubliés sur une étagère (dans quel état j’erre).

Dans ce livre on découvre que si au départ la vie n’a pas autorisé les rêves à faire partie du jeu, rien n’est définitivement joué. Note d’espoir ? Avec les rêves tout est possible, même l’impossible.

Merci merci Hélène Gloria et Manuela Dupont pour cet album frais comme un arc en ciel après la pluie.

Pour rêveurs de 6 à 115 ans.

Zimbo

Arturo Abad et Joanna Concejo

OQO éditions

Du bois sculpté, des ficelles, des mains habiles qui tiennent les ficelles : nous voici dans un théâtre où le metteur en scène est un vieux marionnettiste. Son but dans la vie est de voir briller les étoiles dans les yeux de son jeune public avec Zimbo, sa marionnette gracieuse. Mais Zimbo a changé. Zimbo est triste et ses ficelles n’ont plus leur fluidité d’antan. Elles sont lourdes de mélancolie. Que fait-on d’une marionnette qui souffre ? C’est que le vieux marionnettiste est attaché à Zimbo.

Alors il fait des tentatives pour lui remonter le moral en lui fabriquant de la compagnie et un nouveau décor. Mais à quoi bon ces artifices ? Zimbo est fatigué de ses ficelles. Zimbo voudrait pouvoir décider de sa vie, des paysages qui l’entourent. Blessé, le vieux marionnettiste refuse. Pas longtemps. Du haut de son théâtre il fait descendre la paire de ciseaux qu’il vient de fabriquer. Zimbo hésite peu avant de s’en servir. Il trébuche sur les premiers pas de la liberté. Les suivants le conduiront loin.

Qu’est-ce qui fait changer d’avis le marionnettiste ? Un souffle de souvenir. Peut-être qu’on ne peut retenir auprès de soi les gens qu’on aime sans en payer le prix… Les plus belles ficelles ne font pas le poids quand le cœur aspire à la découverte de nouveaux horizons. Au détriment de son bonheur, le vieil homme laisse partir Zimbo parce qu’il l’aime. Il accepte de sacrifier son attachement parce que l’épanouissement et la légèreté sont plus précieux que les entraves.

Son sacrifice trouve récompense. Zimbo libre, leur lien s’en trouve renforcé : en témoignent les cartes postales que le marionnettiste reçoit. Petit baume au cœur en attendant que les autres marionnettes commencent aussi à rêver à la paire de ciseaux.

La délicatesse des illustrations de Joanna Concejo nous guide dans la mélancolie de la marionnette puis vers ses espérances pour l’indépendance. La couleur finit par éclater bras grands ouverts après les pages poétiquement grises et sépia. On voyage au pays des émotions avec les mots d’Arturo Abad, tantôt en mode spleen mélancolique, amour et douleur, stupeur et audace.

Un livre qui nous incite à jeter un œil pour voir ce qu’il y a derrière le rideau de notre propre scène.

Pour ceux qui rêvent de partir et ceux qui doivent laisser partir ceux qu’ils aiment, à partir de cinq ans