Dans la ville, tout est pressé, occupé. Les gens sont dans leur bulle. Les transports font entendre leur voix : ils se bousculent, il faut se dépêcher. Spectatrice de ce triste spectacle depuis l’horloge de la ville : Lise.
Lise voit bien que les enfants ne jouent pas ensemble, que les murs sont tristes d’être gris, qu’un doudou a été perdu ou qu’un chat miaule car il est coincé sur une branche, et encore d’autres choses.
Alors Lise arrête le temps, entre le tic et le tac précisément. Soudain la ville retient sa respiration, les choses s’immobilisent, le silence revient. Lise en profite : des couleurs pour dessiner un jardin sur un mur gris, pour secourir le chat et le petit merle tombé du nid.
Elle en profite pour créer lien entre les enfants, protéger un papillon, solutionner une dispute. Mais le temps reste le temps. On peut le suspendre un peu, à un moment il faut qu’il reparte. Avant de le remettre en route, il y a encore quelqu’un qui a besoin qu’on fasse attention à lui : le petit chien abandonné que personne ne regarde. Hop, Lise a besoin d’un compagnon pour tout le temps.
Le tic rejoint le tac, la ville suspendue se remet en route comme on s’étire après une bonne nuit. Les enfants jouent ensemble, le papillon s’envole, le cerf-volant aussi, les gens se regardent, se parlent. La ville ne grogne plus, elle vit. Là-haut, Lise veille et au cas où, elle saura quoi faire…
Découvrir, lire cet album en période de confinement : cela pose question et raisonne différemment. Je suis toute émotionnée : Louise Greig et Ashling Lindsay ont eu du nez. Peut-être que notre vie occidentale était à l’image de cette ville : pressée, bruyante, stressée. Est-ce qu’on a encore le temps de porter notre attention sur les petites choses ? Sur ceux qui ont besoin d’un petit coup de pouce ? Lise porte attention aux humains et aux animaux, dans le respect de toute créature vivante de la ville (et oui les animaux c’est important).
Au début dans cette ville c’était chacun pour soi. Est-ce que la vie c’est vivre seul, tracer sans regarder ? L’homme est un être de contact, d’échanges. En perdant de vue les autres, est-ce qu’on ne perdrait pas soi-même. Lise remet du présent et du lien entre les gens. Finalement, ça a du bon cette pause entre le tic et le tac.
Parfois, mettre le temps en suspend pour souffler, pour apaiser les sens c’est important. On voit les choses différemment. Vous pouvez vous amuser à jouer au jeu des « sept différences » entre la première illustration de la ville et la dernière. L’illustratrice y a glissé quelques changements, des petits clins d’œil à ceux qui prendront le temps de les repérer.
Je suis charmée par cette histoire toute simple en apparence. Je vois Lise comme une petite fée : gardienne et bienveillante. Sous les traits d’une enfant, avec fraîcheur et innocence, elle accomplit une mission. Un peu comme dans la Belle au bois dormant, on s’endort pour mieux se réveiller. Sur le chemin, des graines ont été semées. Sauront-nous les repérer ?
Vous l’aurez compris, cet album a fait mouche. On pourrait disserter longtemps sur le thème du temps (en avoir trop, pas assez…). Puisque du temps nous est donné, plutôt que de m’impatienter je vais poser mes yeux et mes oreilles sur ce qu’il y a de joli et léger, en attendant que tic et tac se remettent en marche.
Vous connaissez la comptine « Il court il court le furet » ? Bien alors faites bien tourner l’air et vous êtes prêts pour la lecture de La Croccinelle…
Pour faire une bonne Croccinelle, il vous faut une coccinelle, des bottes, un chapeau et des dents (on se demande où elle les a trouvées…). Ce faisant vous obtenez une coccinelle un tantinet psychopathe qui croque tout ce qu’elle croise (enfin….tout ce qui n’est pas en mesure de se défendre).
Parce que la poule shérif n’est pas franchement d’accord. D’ailleurs comme c’est elle qui fait la loi, elle entreprend de remettre à sa place cette coccinelle. D’abord. Non mais. Pour qui elle se prend cette coccinelle ?
Jusqu’à ce qu’un loup pointe le bout de sa truffe, la poule shérif se croit la plus forte. Ensuite, il semble que ça l’arrange d’avoir une Croccinelle sous la main.
Qu’est-ce qu’elle nous apprend la Croccinelle ? Que même la plus petite et sympathique bestiole, si elle se dégote des dents de loups, peut mordre…
Autre chose : quand on est un loup, mieux vaut se méfier car la force peut changer de camp. Et aussi : ne jamais perdre ses dents de vue (là je me demande qui est le véritable destinataire de ce message subliminal : les enfants ou les personnes détentrices de prothèses ?).
Moralité : croquera bien qui croquera le dernier !
Je savoure cette histoire comme on croque dans un biscuit : c’est chouette à raconter-chanter, c’est décalé, c’est la petite bête qui mange la grosse au Far-West, c’est le tout-est-possible-même-quand-c’est-pas-possible. D’ailleurs de l’araignée avec un nez ou de la grenouille avec des cheveux, je ne dirai RIEN !
Merci au duo Michaël Escoffier et Matthieu Maudet pour cette histoire croquante, craquante, mordante et hilarante. Après les contes détournés, les comptines revisitées. Le texte est direct et se combine à des illustrations très Far-West sur papier ocre chaud pour assurer le dépaysement. La Croccinelle est-elle une hors la loi ou un justicier denté ? A vous de voir…(les loups n’ont qu’à bien se tenir)
« Bonjour je m’appelle Bidule, j’ai tel âge, je suis dans tel bahut…, et comme activité j’aime faire ceci ou cela.. ». Ok, processus logique d’inscription dans la société. Qu’est-ce qui se passe quand tout cela vole en éclat avec une amnésie ?
Romain a 15 ans et se réveille amnésique à l’hôpital. Et quelle amnésie : il ne se souvient plus de rien. Nada ? Reset dans le cerveau. Ses parents : zappés. Sa vie d’avant : effacée. Sauf que dans la vie ça ne marche pas le « on efface tout et on recommence ». Il faut reprendre sa vie.
Avec le journal que lui a donné le médecin, Romain va consigner jour après jour ses ressentis et interrogations quant à sa vie d’avant, laquelle semble aussi fugace qu’une bulle de savon. Qui sont ces gens qui se prétendent ses parents ? Arnaud et Béatrice n’ont pas la bienveillance spontanée et Romain affiche devant eux un aplomb auquel ils n’ont manifestement pas été habitués. Cet aplomb surprend aussi au lycée. Romain découvre qu’avant, il était un looser, un sans-potes doublé de résultats scolaires en chute libre. Il découvre des petits morceaux du puzzles et les assemble tout en s’interrogeant sur le grand-écart entre sa personnalité présente et celle que les indices du passé lui dévoilent.
Amnésique. Après une chute dans un couloir du lycée : malaise ou malveillance ? Le corps étant intact, Romain est « rendu » à ses parents. Pas de passé, curieux présent. Le voilà dans une vie qu’il ne reconnaît pas (vous imaginez l’angoisse ?) et où les mœurs alimentaires très « engagées » ne le transcendent pas. Attention, la caricature alimentaire est si bien menée qu’elle pourrait vous dégouter du tofu soyeux et du pilpil ! Béatrice (sa mère) semble légèrement plus compréhensive, tout en affichant des principes syntaxiques très rigides. En fait c’est ce qui définirait le mieux cette femme : beaucoup de principes. En outre Béatrice semble dotée de quelques capacités diplomatiques qu’elle utilise surtout pour temporiser Arnaud, son mari. Lui ne croit pas à l’amnésie, ou du moins il a tellement hâte que son fils recouvre la mémoire (mais pourquoi ?) que ça le rend vite détestable. (Qu’est-ce qu’il cache ce père.. ?).
Au lycée Romain (re)débarque dans un milieu où chaque prise de parole de sa part surprend systématiquement son entourage. Trouble frontal ? Est-ce que les chocs à la tête peuvent faire sauter les inhibitions sociales ? Pas complètement, mais tout de même, il semblerait que ça permette d’oser plus de choses. Attention tout de même à ne pas se laisser manipuler par Elias et sa bande douteuse…
Romain avance à tâtons dans son présent puisqu’il est privé de passé. Et là je comprends à quel point tout ce qu’on a vécu permet de nous définir ici et maintenant. Peu importe où on en est aujourd’hui : c’est le résultat du cheminement, des rencontres, des erreurs, des choix de toute une vie. Je le trouve drôlement fort Romain, d’avancer à vue dans l’adolescence avec si peu de stabilité tant au lycée que chez lui. Mais au fond, est-ce que c’était si différent avant ? (ah la la j’ai posé une grande question là)
La seule personne un peu stable dans toute cette histoire c’est Adeline, la grosse qui aime chanter et qui est un tantinet susceptible (elle n’aurait pas de bonnes raisons …?). Contre toute attente, c’est cette fille au profil anti-héros qui va être son pilier dans ce brouillard. Avec son franc parler d’abord, puis parce qu’elle le pousse dans ses retranchements : dans un casting de chant pour être précis. Quand on se dit qu’on n’a jamais chanté et qu’on se découvre capable de déchiffrer une partition, ça ébranle et ça fait une pièce de puzzle de plus dans un passé effiloché.
Harcèlement : le gros mot est lâché. Cette pratique détestable peut prendre bien des visages. La manipulation et le racket en sont des formes bien perverses et nous avons un bel exemple du genre grâce à Nathalie Somers. Il n’a pas de bol Romain. Avant son accident il était le jouet infortuné de la bande d’Elias, et ce n’est pas une amnésie qui va les inciter à plus d’empathie. L’autrice nous donne un petit aperçu des dégâts que les réseaux sociaux entraînent lorsque des photos ou vidéos malintentionnées circulent. Que dire de ce racket infâme dont il est victime ?
En même temps, combien serions-nous prêts à payer pour éviter la HONTE ?
Y a-t-il tsunami plus violent que la honte pour la confiance en soi et les relations avec ses pairs ?
En parallèle, Romain expérimente le « trop de pression » ou comment se faire broyer par les projections paternelles. Régulièrement dans les médias on entend le témoignage poignant d’un sportif ou d’un artiste qui décrit le calvaire vécu enfant parce que ses parents imposaient l’excellence dans la discipline de loisirs choisie. (Céline Raphaël et sa terrible enfance s’imposent à mon esprit présentement). L’enfant pris dans un nouage affectif et d’envie de faire plaisir, pour peu qu’il soit un peu doué dans un domaine, peut se perdre, se diluer au point de se perdre. Qui est-il pris dans l’étau des attentes familiales ? Arnaud nourrit des espérances si fortes pour son fils qu’il en a perdu l’essentiel : rester un père. L’amnésie est un tremplin qui, en permettant à Romain de dépasser le courbage d’échine, lui replace les billes de sa vie entre les mains. Evidemment ça fait des étincelles, voire ça chauffe fort. Devenir adulte passe aussi par s’affirmer. Nul doute que cela donnera à réfléchir à certains lecteurs…
Apprendre à dire NON à ses parents c’est une chose. Quand la machine qui s’emballe s’appelle « Facebook » c’est une autre paire de manches. Tout au long du livre les réseaux sociaux sont présents. On constate l’enjeu qu’ils génèrent à l’adolescence : popularité et respect. Ils peuvent aussi détruire méchamment une vie. Incontournables, quel usage en fait-on ? Quelles limites leurs donnent-on ? Les questions méritent d’être posées et débattues avec les adolescents.
J’ai fait en sorte de ne pas trop spoiler le contenu du roman pour que ça vous intrigue suffisamment pour avoir envie de le lire. Je vous avouerai que ce que j’aime quand je lis, c’est être surprise, interloquée, choquée, soulagée, révoltée…c’est pouvoir ressentir un max d’émotions. Dans ce journal, au cours du premier tiers j’ai fait comme Romain : froncement de sourcils et impatience « mais ça mène où tout ça ? ». Et ensuite, ensuite…comme un puzzle. Au début on ne distingue pas bien le paysage dans tout ses petits bouts de détails. Ça se dévoile de plus en plus précisément jusqu’à couper le souffle et accélérer considérablement la deuxième partie du livre !
L’amnésie est-elle une méga loose ? Comme souvent, c’est n’est pas tout noir ou tout blanc…
Quelques petites choses très importantes à retenir :
Si tu es victime de harcèlement : DIS-LE !! (ça vaut pour les adultes aussi !)
Qu’est-ce que je veux pour moi ? (moi hein, pas mes parents).
Les réseaux sociaux c’est sympa Et ça peut aussi devenir ton pire ennemi…
Vivre avec trop de masques = réduction importante de l’énergie vitale !
Prenez un peu de Lewis Carroll, un peu de Miazaki, un peu de Star Wars : vous le saupoudrez de surréalisme et de « claudepontisme » : mélangez le tout et voici Ilié Prépéleac !
Livre hybride en deux parties, il vous emmènera où l’on n’aurait jamais pensé aller.
1. La dissolution de Sofia Onéga
Pour vous la faire courte et efficace, on pourrait résumer cette histoire comme ceci : Ilié Prépéleac, seul homme de Panoï, a noué une amitié indéfectible avec la très belle Sofia Onéga.
Or un jour, elle disparaît. Comme ça, sans laisser de traces. L’enquête menée conclue à sa dissolution mais cela ne convainc pas Ilié Prépéleac. Et si la planète Halmer 1113 récemment arrivée à Panoï y était pour quelque-chose ? Un jour au loin il aperçoit le foulard de Sofia qui flotte au loin. Il part à sa recherche. La neige brouille le paysage, les tortues migrent et le gouffre est proche, la chute arrive : Ilié Prépéleac tombe….
2. Au-delà des champs de tourne-lunes
Ilié chute jusqu’en Siméria, un monde où les frontières des éléments sont abolies. Il y rencontre baba Sorica, la fileuse d’écume. Elle semble le connaître. Elle va le mettre sur le chemin pour retrouver Sofia Onéga, mais elle le met en garde contre les choses qui ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent être. Ilié Prépéleac devra dépasser les illusions et ne jamais se détourner de son chemin. Pour cela il aura l’aide et la compagnie d’un hippocampe et d’une méduse phosphorescente à piles rechargeables (qui ronfle bruyamment). Les histoires de ceux qu’il croise rythment son voyage et lui révèlent l’Histoire de Siméria. Noute la truie bleue sera sa dernière guide jusqu’à arriver à Maïastra, la poissonne-lune devenue oiseau. En aidant Maïastra à protéger à protéger ses poissillons, cette dernière lui transmettra de quoi retourner à Panoï…
Le texte est surprenant de ligne en ligne : impossible d’y trouver de la prévisibilité : il faut accepter de sauter dans l’inconnu et d’être en découverte permanente. Personnellement il m’a fallu plusieurs lectures pour pouvoir profiter du foisonnement de cet ouvrage. On début on découvre, ensuite on profite.
Un Objet Livresque Non Identifié je vous dis…
Que dire des illustrations. Vous avez vu ces couvertures ? La fascination s’enclenche dès la couverture avec ces « poissons-lunes » impressionnistes. La texture même du livre fait que je vous mets au défi de résister à l’envie de la caresser !
Même mon chat n’y résiste pas !
Ce qui m’a scotchée en premier lieu c’est l’abolition des repères. c’est comme un manège : au démarrage on ne comprend pas très bien, ça secoue, puis on apprécie, et le plaisir va crescendo.
Point de patriarcat mais un univers de femme. Attention il n’y a rien de comparable avec les Amazones : les hommes ne sont pas bannis. Ils sont juste absents. Les femmes réapparaissent par les cheveux. C’est un nouveau concept du phénix : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Il y a la jeunesse et la vieillesse : l’intermédiaire n’a pas cours et le cycle est préservé.
Qui dit « pas d’homme » dit pas d’amour selon nos codes. En revanche l’amitié et l’attachement sont palpables. Ilié est viscéralement attaché à Sofia et il est ami avec Nora Lecta, la narratrice (mais ça ne serait pas l’auteure ??). Une amitié homme-femme exempte de domination, mais qui pousse à tout quitter pour retrouver l’autre.
Côté nourriture, là encore on va de surprise en surprise. Les tourne-lunes donnent un sirop sucré, à moins que vous ne préfériez gouter des « patates d’eau douce », du « lait chaud de vache de mer » ou du « fromage de chèvre stellaire ». Tout de même, les courgettes et la soupe d’ortie semblent être ce qu’elles sont. La nourriture vient de la terre, du ciel et de la mer. Ces trois niveaux apportent leur contribution voire se mélangent de manière surprenante. C’est ainsi qu’on découvrira une étrange planète, qui a des pattes et qui abrite des œufs. Vivante, Ilié suit sa croissance et sera troublé par les émotions qu’elle manifeste en pleurant. Astronomie et astrologie cheminent ensemble, la science servant de terreau aux prédictions des voyantes (ce qui est une science exacte à Panoï). La spiritualité et la magie sont à côté des usines et des champs de fleurs. Concret, abstrait, nébuleux : What Else ?
Dans cette histoire, on n’est pas à un bouleversement près :
la gravitation n’a plus cours de manière stable.
les éléments océaniques font partie intégrante du paysage et de l’atmosphère.
l’olfactif occupe de manière surprenante une place prépondérante dans cet album : j’espère que vous n’avez rien contre les effluves de crevette ou d’oignon doux
les oiseaux volent au-dessous, les poissons-lunes volent au-dessus
des baleines séculaires accueillent l’hibernation des habitantes de Moïseï
La personnification des plantes et des animaux transgresse les limites entre créatures vivantes. Aide et respect s’échangent en bienveillance la plupart du temps. Dans la deuxième partie de l’histoire, on découvre la carrière de l’hippocampe comme saxophoniste ou l’amitié qui unissait Noute et baba Sorica. Devant la tentative d’exploitation des enfants de Noute, Ilié aura la solution…
L’ambiance slave nous enveloppe tant grâce aux sonorités des noms que par les illustrations atmosphérico-oniriques d’Aglaé Rochette. Jaunes et bleus se contrastent, se fondent se nuancent, tantôt chauds, tantôt glaçants, zoom sur le ciel qui reste ciel ou qui devient océan.
Si le décor et les noms chantent l’Europe de l’Est, j’ai eu la surprise d’y rencontrer les influences mauresques : un caravansérail et une époque avec des « princes du Levant ». Plus de frontières mais des ponts géographiques. Ces détails architecturaux témoignent du passé de Siméria et le village de Baragan. Clin d’œil aux mythologies ou à Perrault (?) un étrange fléau sévit : la dormition. L’arrivée d’Ilié Prépéleac et du sirop de tourne-lunes permettra d’y mettre un terme. Ilié serait-il un peu chevalier ou héros grec ?
Lewis Carroll est partout : il y a la chute, le passage. Il y a le songe, l’histoire qui flirte avec le sommeil : tout cela est-il réel ? Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Au-dessous, en dessous, peu importe. Ilié se demande si un gâteau pourrait faire rapetisser Noute en vue de l’accueillir chez lui. Cela vous rappelle quelqu’un ? Bon pas de lapin blanc, mais une truie bleue et un «poisseau », des plantes qui chantent, des vents musiciens…
D’un point de vue littéraire, je trouve ce texte invraisemblable, phénoménalement décoiffant, régulièrement ponctué par des idiomes ou proverbes revisités, on s’amuse des détournements proposés par Nora Lecta. Les champs lexicaux sont maîtrisés au point de me faire complexer sur l’image que je me fais de ma maîtrise du français. Par exemple : la frégate réunit ses deux occurrences devenant un « bat-oiseau ». Respect. Entre les néologismes et le dépoussiérage de termes peu usités, il vous faudra accepter quelques froncements de sourcils de « heu, je ne connais pas ce mot » (défi entre moi et moi : réussir à caser « lacustre » ou « utriculaire » dans une discussion – Erik Orsenna serait ravi) (petite clin d’oeil de Clara à à La Grammaire est une chanson douce).
Science et mystère, astrologie et botanique, olfaction et pression atmosphérique, la vie comme un sablier que l’on retourne, ce qui s’écoule du haut vers le bas s’inversera. Coup de Chapeau au Cosmographe pour cet OLNI étrangement magnétique. Le résultat de ce métissage franco-roumain aux reflets d’Atlantide de l’autre côté du miroir est juste sidérant.
Un jeune homme pauvre + une princesse + le désert + des brigands : il ne fallait pas plus d’ingrédients pour que je tombe sous le charme de cette histoire.
(Comment ça je suis accro aux évasions orientales ?)
Quand l’histoire commence, nous découvrons Jabbar en pleine attente : quand la caravane arrivera-t-elle ? Il a besoin d’acheter un stock d’images pour pouvoir les revendre : c’est ainsi qu’il gagne sa vie. Cette dernière ne lui a pas laissé beaucoup de choix pour choisir un métier. Souffleur de verre, il en a rêvé, c’était il y a longtemps…
La caravane finit par arriver et Jabbar achète un important lot d’images. Une retient en particulier son attention : le portrait d’une belle jeune femme. Elle le marque tant que le pauvre Jabbar passera dans la foulée une nuit tourmentée à rêver de la belle jeune femme de l’image. Qui peut-elle bien être ? Le fournisseur le sait : c’est un portrait de la fille du sultan. Qui dit princesse dit inaccessible, même pas en rêve.
Soit, Jabbar se met en route. Pour vendre ses images il fait la tournée des villages de la montagne. La route est longue et ingrate, brûlante ou glaciale. Au premier village il reçoit bon accueil et les images se vendent bien, à une exception : il refuse de vendre l’image de la princesse. Partout où il passe, même si on lui offre une fortune en échange, sa réponse est ferme : « Elle n’est pas à vendre ».
Un jour, Jabbar arrive dans un village fermé où les habitants sont terrés dans leurs maisons. On lui explique que des brigands terrorisent la région, et qu’il ferait mieux de rebrousser chemin. Alors que l’image de la princesse lui échappe, il apprend que ces mêmes brigands la retiendraient prisonnière. Il se pourrait qu’elle ne soit plus de ce monde.
Partout où il passe, les gens ont peur. Les portes restent fermées. Un soir il remarque une agitation dans la montagne. En s’approchant il découvre ni plus ni moins que le campement des brigands. Les armes et les hommes sont nombreux.
La princesse est là, vivante ! Elle se fait brutaliser par le chef. Jabbar n’a plus qu’un objectif : la délivrer. L’entreprise est ardue, enfin il la rejoint, ils s’enfuient mais un cheval les trahit. La fin semble proche. Sauf que Jabbar a plus d’une image dans son sac.
Le début de la suite sera heureux paraît-il…
Alors cette image : hasard ou prémonition ? L’amour donne des ailes, où à défaut de s’envoler vraiment, permet de se dépasser pour réussir ce qui paraissait impossible. Alors que tout les oppose, la princesse fait fi de l’écart social. Il est certaines qualités qui effacent les différences. Le courage et l’ingéniosité valent plus qu’un statut lié à la naissance. Quand ce qui paraissait impossible se réalise, c’est quand même un sacré permis d’espérer, ne trouvez-vous pas ?
Je dois à Philippe Lechermeier le fait d’avoir passé la lecture de quelques pages en apnée, entre la libération de la princesse et « l’échappée belle » galopante : quel rythme ! L’histoire pourrait se passer d’images tant les mots suffisent à créer des représentations de l’histoire de Jabbar. Toutefois cela serait dommage car Charlotte Gastaut nous transporte dans des illustrations douces, rudes et foisonnantes. Une page pour plusieurs saynètes dans des gravures richement colorées, me rappelant les tableaux de Léon Carré. Le dépaysement est inévitable et personnellement, j’ai plaisir à me laisser envelopper par l’ambiance mauresque qui défile page après page. Les silhouettes noires inspirent la comparaison avec les contes de la nuit (de Michel Ocelot) : décidément je les adore ces chameaux aux chargements bringuebalants !
Et cette galopade : un film je vous je dis !
On a du romantisme, une vie précaire, des rebondissements, des vrais méchants très méchants, un jeune homme dégourdi et une princesse humble. Magie orientale, quand tu me prends par la main…
Quand j’ai commencé à redécouvrir la fabuleuse diversité de la littérature jeunesse, en 2009, j’ai croisé des albums surprenants. Parmi les premiers à avoir rejoint mes étagères : Les Sages Apalants.
J’ai été immédiatement enveloppée par un sentiment de sérénité devant cette couverture aux tons chauds et apaisants. Et j’ai rencontré les Apalants : c’est une tribu pacifique qui va à pas lents, qui est pacifique et qui se nourrit de « musique et de miettes de temps perdu ».
Le narrateur raconte le voyage de son grand-père, voyageur explorateur des quatre coins de la planète, qui dort dans une valise et a pour compagnon un dromadociphère (ne cherchez pas dans google, il n’y a que dans cette histoire que vous rencontrerez un tel animal. C’est un hybride entre le dromadaire, la girafe, le zèbre et le cheval, du moins est-ce ainsi que je le perçois).
Lors d’un voyage où il fut pris dans un ouragan, il arriva au pays des Apalants. Peuple chaleureux et silencieux, ils accueillirent leur visiteur avec des sourires et lui firent partager leur vie. Au plus proche de la nature, capables de saisir les murmures du vent, les Apalants vivent de légèreté et de patience. Le grand-père appris la contemplation, l’instant présent.
Il laissa la précipitation dans sa vie d’avant.
Prendre le temps d’observer, d’écouter, de sentir, d’être soi, d’être ensemble…les Apalants sont proches de la nature. Pour eux le temps, c’est être en pleine conscience, c’est ici et maintenant, c’est être attentif, à l’écoute, délicat. Pour comprendre leur vie, il faut être en mesure de s’intéresser à eux.
La différence peut dérouter, déstabiliser. Ça a été le cas pour le grand-père au début. Mais il a pris le temps, il s’est intéressé, il a fait ce pas vers eux pour mieux les comprendre. Une pincée de volonté semble nécessaire pour aller vers l’autre.
Si le vieux monsieur peut changer, ça devrait être possible pour tout le monde.
Les illustrations en double-page de Bruno Pilorget invitent à se poser et à profiter du paysage. Associées aux mots de Marie-Sabine Roger, elles questionnent notre rapport au temps. Comment vit-on notre propre présent : en mode « tout feu tout flamme-speed-pressé-stressé-je n’ai jamais le temps » ?
Est-ce qu’on prend le temps de regarder autour de soi ?
De poser les yeux sur le paysage alentours ?
Qu’en est-il des gens qui nous entourent ?
Les choses évoluent, lentement pour certains, rapidement pour d’autres. Avec cet album, c’est un temps magique qui s’offre à nous.
Le changement est subtil et s’opère avec le temps. Si le temps nous échappe ou qu’on le laisse filer, pas de panique, faire autrement c’est possible. Changer ses habitudes, ralentir, cela permet de profiter différemment du temps à notre disposition. Et si l’on en croit l’expérience du grand-père, une fois ce rythme pris, il reste acquis.
Le pays des Apalants n’existe pas géographiquement parlant, pour autant, serait-il si difficile de les rejoindre…je vous pose la question. 😉
Pour faire durer encore un peu le plaisir de Pâques avec un livre pour les tout-petits, aujourd’hui voici Chocolat de Benoît Charlat.
Tout au long de ce livre cartonné (rudement pratique si on veut le croquer) on suit un petit pingouin qui rencontre du chocolat sous toutes ses formes.
On commence avec les classiques de Pâques, puis on élargit les présentations : glace, tablette, gâteau, chocolat chaud…Pas de doute il est accro !!!
On s’interroge aussi : est-ce que tout ce qui est marron c’est du chocolat ? (peut-être pas…)
On apprend que le chocolat ça peut se partager avec quelqu’un (ou pas), ça peut se convoiter, se manger devant la télé (ça c’est moi un peu trop souvent en ce moment).
Et truc terrible, les parents peuvent le ranger : en hauteur !
Du coup quand on en est (un peu) privé, on peut en rêver. Mais qu’est-ce qui se passe si on abuse du chocolat ??? Gare à l’estomac !
(Bon médiateur si loulou-junior ne veut pas se raisonner…ou pour me rappeler ce que je risque à faire de la tablette ma meilleure amie ! )
Le texte est court, rythmé et les situations drôlement quotidiennes parleront aux petits gourmands et à leurs parents. Un vocabulaire et un phrasé simple à s’approprier facilement pourront donner lieu à un petit jeu langagier vu que tous les énoncés se terminent par le mot « chocolat » !
Si vous êtes en panne de chocolat, à vous de voir si vous oserez raconter cette histoire, ou pas !
Tant qu’à être dans une période propice au chocolat, j’ai envie de vous parler de ce sublime et gourmand ouvrage : Une cuisine tout en chocolat. (Normalement rien qu’au titre vous êtes déjà en train de saliver).
L’ouvrir procure la même excitation que lorsque l’on se trouve devant sa récolte de Pâques, quand on considère avec des yeux pétillants d’excitation le plus gros œuf garni. Dans ce livre se mêlent informations, anecdotes, illustrations et recettes comme autant de petits sujets chocolatés à savourer une fois le ruban dénoué.
Avec ce livre, on apprend d’où vient le chocolat, ou plutôt le cacao : et oui le chocolat est le résultat de plusieurs transformations. De l’arbre cacaoyer aux cabosses, puis fèves, et enfin cacao : comment est-il arrivé jusqu’en France ? Cette denrée est voyageuse, encore aujourd’hui, même si les lieux de production se sont répandus et développés. Les plus vieux cacaoyers seraient dans les forêts tropicales mexicaines. Les animaux puis les hommes ont été les vecteurs de sa répartition sur la planète. Fascinant n’est-ce pas ? Paradoxalement, ce ni au Mexique ni dans aucun pays producteur que se situe le record de consommation par habitant. Attention : leçon d’histoire-géographie-sciences économiques en perspective.
(Ils produisent mais ils ne consomment pas…curieux…pourquoi ? Question de pauvreté, parce que le chocolat est un produit de luxe…il y a de quoi réfléchir pour sûr…)
De l’Amérique à l’Afrique, il y a quelques étapes avant que les fèves précieuses soient chargées sur bateau. (J’espère que vous avez un globe terrestre à proximité). Ce livre est une longue-vue sur ces ailleurs producteurs.
Ancienne monnaie d’échange, les fèves de cacao ont vite eu de la valeur aux yeux des hommes. Elles deviennent objet de convoitise et il faut les surveiller de près pour ne pas se les faire voler. Quand le cacao arrive en Europe au 16e siècle, son aspect peu ragoutant le fait bouder des nobles tables. (A quoi faisait-il penser d’après vous ?) Toutefois il suffira de quelques années pour qu’il devienne enfin très apprécié et qu’il quitta sa fonction de médicament (oui oui vous avez bien lu ! Vous l’ignoriez je parie : moi aussi !).
Du cacao au chocolat, faisons encore quelques pas. Au fil du livre Alain Serres nous explique comment le sucre a pris son rôle dans la préparation de cette gourmandise – par qui la présentation en tablette a été popularisée – et l’intérêt de son utilisation en cosmétique…et plein d’autres choses encore ! L’auteur nous transporte au pays de l’imagination avec des historiettes où il sera question de récolte, d’esclavage, d’anniversaire, de chocolaterie (mais pas celle de Mr Wonka), ou encore de sirène, de princesse : faites votre choix.
Fantastique mine de recettes, cet ouvrage en propose pour toutes les papilles et sous toutes les formes. Que vous soyez plutôt gâteau ou douceur, libre à vous de choisir de vous lancer dans la confection d’une tarte au chocolat au lait et aux framboises ou de préférer le piquant de caramels au chocolat et piment d’Espelette. A moins que vous préféreriez agrémenter quelque plat salé de quelques notes cacaotées ? Je vous avoue que je suis bien tentée par la recette du Saint-marcellin « poires et pépites ».
Comme la cerise vient embellir le gâteau, les illustrations gourmandes de Nathalie Novi sont un enchantement pour les yeux et pour les papilles. Nous sommes transportés de page en page entre Sao Tomé-et-Principe et la Côte d’Ivoire, des quais du Costa Rica à un salon de dégustation viennois, des abords de la cascade chocolat à l’atelier d’un artiste…
Un album multi-facette qui régalera les curieux, les gourmands d’histoire et les inconditionnels du chocolat, évidemment !
Bon voyage, belles découvertes et bonne dégustation 🙂
Amani est un jeune Touareg. Depuis qu’il est petit il voit son père et son oncle partir avec la caravane sur la route du sel. Sans lui. Trop jeune. Il attendra leur retour avec sa mère, près de la ville, où ils vivent depuis plusieurs mois. Tous les jours il surveille les chèvres. Or ce soir il en manque une dans l’enclos. Catastrophe !
Il faut la retrouver. Amani part à sa recherche. Il arrive devant Moussa, l’ancien forgeron devenu aveugle. Le vieil homme perçoit la détresse d’Amani : l’enfant se confie. Moussa l’écoute, puis lui explique où se rendre pour retrouver sa chèvre. Demain il lui faudra partir vers le puis de la Girafe. Amani rentre prendre un peu de repos. Sous la tente sa mère fait chanter l’imzad. Amani s’endort.
Le lendemain, Amani se met en route. Rapidement il croit avoir retrouvé sa chèvre mais la désillusion guette : point de chèvre sur le chemin, mais une gazelle.
La leçon est amère. La journée est trop avancée pour rebrousser chemin. Il faudra dormir dans le désert et rationner l’eau car le puits de la Girafe est à sec. Un peu d’eau pour son âne, il ne faudrait pas malmener son seul compagnon. La nuit tombe et la vie nocturne s’éveille. C’est sa première nuit dans le désert.
Quand le soleil se lève, Amani est saisi d’une curieuse émotion. Il se remet en route. Un moula-moula apparaît et se pose sur l’âne. C’est un bon présage. Quand soudain l’oiseau s’envole vers les montagnes. Bien prend Amani de le suivre car une tempête du désert se lève. Entre les parois de la montagne, un passage se distingue. Amani s’y engage et retrouve son âne et l’oiseau dans une clairière de pierre : un oued asséché. Il va falloir passer encore une nuit loin du campement. Le moula-moula veille.
A son réveil, il découvre sur la roche de curieux dessins. Un en particulier retient son attention : un homme joue de la flûte en dessous de ce qu’il lui semble être de la pluie. Amani décide de gagner le sommet des roches pour jouer de la petite flûte qu’il a avec lui. Si la musique pouvait faire tomber la pluie, ça serait fantastique.
Amani joue.
La musique se diffuse et son pouvoir apaisant se répand.
La descente sera ardue mais une surprise de taille l’attend en bas : son père.
La caravane a fait halte non loin d’ici. Amani rejoint les hommes. Il va pouvoir reprendre quelques forces avant de tout raconter. Point de moqueries devant son récit, mais une confidence collective qui va surprendre l’enfant : tous les hommes ont essayé un jour de faire tomber la pluie après avoir découvert le dessin. Tous ont essayé d’être des faiseurs de pluie.
Le lendemain matin c’est la pluie qui réveille Amani.
Ce livre est un voyage. Point besoin de billet d’avion, il suffit d’ouvrir l’ouvrage pour se laisser happer par les remarquables illustrations d’Anne Romby. Il y a tant de grâce dans ses dessins que j’ai l’impression de sentir la chaleur du désert sur mon visage, la sensation de la corde effilochée de l’âne sur mes doigts, la rugosité de la roche, la fraîcheur de la pluie…Images intemporelles pour rendre hommage à la relation entre les Touaregs et le désert. Merci Ghislaine Roman de nous embarquer entre musique et silence dans cet Orient brut, rude, magnifique, authentique !
La question de l’eau est primordiale pour les peuples africains, et encore plus pour ceux qui sont semi-nomades, comme les Touaregs. La sécheresse pour eux n’a rien à voir avec celle que nous découvrons depuis quelques années. Quand on manque d’eau, chaque goutte est précieuse car elle conditionne les chances de survie. Pas d’eau, pas de vie. Plus d’eau, risque pour la vie. On développe un grand respect pour cet élément quand on côtoie des environnements où elle ne sort pas d’un robinet. On comprend qu’elle n’est pas une ressource infinie et que la pluie peut être une aubaine.
On suit Amani a travers un vrai parcours initiatique. L’enfant éprouve les dangers du désert, dangers dont son père voulait le préserver. Le désert ne s’improvise pas. Le désert s’apprivoise tout comme la vie s’apprivoise. Face au vent du désert, on est peu de chose. L’expérience fait l’homme. La théorie devient pratique. De la leçon découle des conclusions. Amani expérimente ses capacités, ses émotions et sa capacité à décider : dans sa vie il y aura l’avant et l’après. A-t-il réussi à faire tomber la pluie ? Peut-être que oui…et peut-être l’enfant a-t-il pris confiance en lui…
S’il y a une large part faite au parcours initiatique, il y a aussi l’aspect transmission qui est présent. Amani joue la musique de sa mère. Amani admire son père et veut marcher avec lui. L’enfant s’éloigne de la tente rassurante de sa mère pour rejoindre, sans le savoir, son père. Au milieu des hommes, il apprend que tous avaient joué pour la pluie avant lui. Magie de la filiation de la double-famille : Amani trouve sa place dans la caravane et auprès de son père.
Amani chemine seul. Mais le moula-moula veille. La spiritualité permet à l’enfant d’interpréter positivement la présence de l’oiseau. Quand l’environnement est rude, il convient de vivre dans le respect des compagnons. Je suis touchée par la délicatesse qui ressort de la relation homme-animal : Amani partage son eau avec son âne, Sélim accueille l’animal avec « une certaine tendresse ». La conclusion de l’histoire reviendra à la chèvre par qui tout a commencé.
Je n’aime pas les oignons, mais alors pas du tout. Mon estomac ne les supporte pas. Aussi jugez de ma surprise en découvrant le titre de ce livre. L’approche fut un mélange d’attirance-répulsion, comme si en l’ouvrant j’allais être assailli de vapeurs pleurantes. Et puis j’ai aperçu « Pablo Neruda » et là, une partie de mes armes sont tombées. Pablo Neruda : personnage magique, réveillant la sécurité de l’enfance et quelques souvenirs de moments passés dans une école qui portait son nom. (Pablo Neruda, un prénom et un nom pour une madeleine de Proust)
Le poète est en proie à un tourment : écrire sur un sujet dur – les mineurs et leur labeur – empathie déferlante. Rien ne semble plus avoir de saveur en dehors de la douleur. Pourtant l’heure du déjeuner approche et il est temps de rejoindre Matilde, sa compagne, son sourire, son amour.
Matilde encourage le poète à revenir ici et maintenant, quitter pour un temps les émotions et les mots pour aller dans le jardin chercher quelques légumes. Il faut bien se nourrir. Direction le jardin à la rencontre des tomates et des fenouils. Leurs entremêlements semblent une bataille à Pablo alors que Matilde y voit un tango. Plus tard il s’attriste de la séparation du couple formé par l’ail et la rose puis il anticipe les larmes provoquées par l’oignon. Matilde s’amuse de la mélancolie du poète, et puisque le jardin n’a pas suffi à dissiper l’ennuie de Pablo, une nouvelle étape l’attend : couper l’oignon.
Album éminemment sensoriel. On entend tout du jardin, on sent la petite brise qui se faufile entre les rayons du soleil, on est capté par les couleurs de la terre et des fleurs, on respire l’instant présent avec la musique des bruissements. Les illustrations de Felicita Sala laissent transparaître toute la délicatesse du jardin potager et s’accord avec sensibilité aux mots d’Alexandria Giardino. Je les remercie pour cet album autant que le poète qui les a inspirées.
Pablo coupe l’oignon. La vapeur du légume monte jusqu’au poète et ce qui devait arriver…les larmes se mettent à couler.
A travers leur rideau au début, il ne voit rien. Petit à petit il distingue ce qu’il n’avait pas vu. Dans le sein du noir de la terre l’oignon s’est développé, attendant sa mise à la lumière pour être révélé, et sa mise en bouche pour être aimé. Bouleversé, Pablo songe : dans les petites choses se trouve le bonheur. Dans les petites choses se trouvent nos ressources de joie et la possibilité d’éloigner les soucis.
Quand la tête s’échauffe, il faut revenir au corps. Quand l’esprit et les idées s’emballent, il convient de ressentir, en pleine conscience :
Qu’est-ce que je vois ?
Qu’est-ce que je sens avec mon nez ?
Quelle est la sensation du couteau dans ma main ?
Et quand je coupe l’oignon ? Et quand je le croque ?
Matilde l’a dit : « Mais d’abord mangeons ». C’est un sujet sur lequel tous les hommes s’accorderont : il faut manger pour vivre. Faute de réconcilier mes papilles avec les oignons, cet album a le mérite de me rappeler une chose essentielle : la considération d’une chose dépend de l’angle avec lequel on la regarde et de la bienveillance qu’on lui accorde à un instant T. Puisque l’oignon a révélé sa sensibilité au poète, ce dernier lui rendra hommage avec des mots, avec une ode.
Cet album est un hommage aux choses simples, telles que Pablo Neruda les a célébrées et qu’il continue à le faire à travers sa poésie, intemporelle, éternelle.